Perdre au jeu
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Que dire ? J’ai l’impression que tout avis valable a déjà été donné sur ce film, à la palme d’or amplement méritée. Tout a déjà été scruté sur ce film, de son propos féministe à la virtuosité et la minutie de sa mise en scène. Les amateur·ices de thrillers, de films de procès, de films contemplatifs, de films de femmes en ont tous·tes pris plein les yeux, moi y compris.
J’aimerais me concentrer sur l’émotion “brute” qu’inspire Anatomie d’une chute. J’en suis sortie crispée, tendue, une tension à peine apaisée par la fin qui se veut évidemment cryptique. Car tout n’est pas résolu, loin de là. L’issue d’un procès n’est pas faite pour proclamer la vérité, et surtout elle ne répare pas la confiance détruite, les émotions et les souvenirs profanés et blessés.
Ça, Justine Triet parvient très bien à le montrer. Un procès, ce n’est pas pour obtenir justice mais pour obtenir le résultat le plus satisfaisant possible.
Or, même si le résultat contente Sandra, il laisse son fils distant, son avocat/amant dubitatif, et il me laisse frustrée avec un soupçon de malaise.
Le film n’est pas tant à propos de l’enquête qu’à propos de la femme au centre de celle-ci, un personnage complexe, gris, aux multiples facettes comme on en retrouve dans le cinéma de Triet : Sandra est comme Victoria, Sybil et Laetitia.
Attention, il ne faut pas tomber dans le piège de la “femme forte”, ce personnage féminin générique et creux qui porte un étendard vaguement féministe. Ce qu’on veut, pour de vrai, ce sont des personnages comme ceux de Justine Triet : violents, aimants, tristes, pleins de contradictions, à la personnalité tellement complexe qu’on ne peut pas en faire le tour en 2h30, et qui nous quittent alors qu’on a l’impression d’enfin commencer à les connaître. Des vrais personnages de cinéma, dramatiques et pourtant si proches de nous.
Anatomie d’une chute entretient la frustration et la tension en déroulant son histoire chronologiquement, dans un ordre logique et attendu, mais en revenant toujours à ce moment crucial du début dont nous avons été témoins mais dont nous n’avons rien vu. Il est là le secret du film : nous étions là mais nous n’avons rien vu car le film a choisi de nous faire suivre le jeune fils malvoyant. Ainsi, le personnage le plus proche de notre condition est Daniel, qui comme nous n’a rien vu alors qu’il était là.
Le film brise audacieusement la clause de confiance que l’on entretient avec les personnages. Il s’agit d’un lieu commun au cinéma : si un personnage dit quelque chose, alors ce doit être la vérité et nous devons y croire, à moins que cela soit réfuté ou prouvé comme étant faux. Or, ici on est jamais sûr de la véracité de ce qui nous est dit, et cela n’a d’ailleurs pas beaucoup d’importance. Comme je l’ai dit, le but d’un procès n’est pas de déterminer ce qui est faux ou vrai, et par extension cela devient le non-but du film également.
Mais alors, quel est le but ? Où est-ce qu’on va finalement avec tout ça ? Il n’y a pas de réponse satisfaisante, car chaque personnage a un objectif différent, et libre à nous de décider de qui prendre - ou non - le parti. Sandra veut qu’on lui fiche la paix, Daniel veut la vérité, le procureur veut gagner. Personnellement, j’ai choisi le rôle de témoin : je regarde, mais je ne dis rien et ne prends pas parti. En fait, je suis trop occupée à être crispée sur mon siège.
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Créée
le 19 sept. 2023
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