Perdre au jeu
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Après le ratage de Sibyl, Justine Triet prouve que quand elle pense à donner des personnages vrais, des situations creusées ainsi que sonnant juste et qu'elle a recours au flashback que quand c'est justifié (à une seule reprise, à un moment-clé, en sachant l'arrêter quand il le faut !), on peut avoir une belle réussite. Une belle réussite qui n'a pas volé sa Palme d'or.
En tous les cas, tout au long des deux heures et demie de l'ensemble, je suis resté scotché sur mon siège, sans bouger d'un seul millimètre tellement l'atmosphère est intense, tellement le jeu de la distribution est au cordeau (même le chien mérite un César !). Vraiment un excellent choix que celui de Sandra Hüller (au passage, la seule à avoir fourni une interprétation potable dans Sibyl, donc si elle est capable de nous gratifier de quelque chose de bon dans une merde, alors dans un succès artistique, je vous laisse imaginer… !) dans le rôle de la protagoniste. Chopin et Albeniz sont parfaitement à leur place pour injecter encore plus d'intensité, par des sonorités lentes et mélancoliques pour le premier, par des sonorités vives et saccadées pour le second. Ouais, je me suis laissé happer complètement par ce film de procès, avec cette femme voulant conserver son opacité et sa liberté, peu à l'aise avec le français, sachant mieux s'exprimer en anglais, cet avocat se faisant passer pour plus vulnérable qu'il ne l'est réellement, ce procureur agressif comme un bouledogue enragé (un fabuleux Antoine Reinartz qui n'est pas loin de chourer la vedette !) prêt à bondir sur la plus petite faille de la présumée coupable pour la dépeindre en femme (et épouse !) indigne, donc d'ores et déjà à condamner, ces experts se contredisant et exposant leur thèse selon qu'ils sont dans le camp de l'accusation ou de la défense, ce jeune adolescent malvoyant (Milo Machado Graner, pleinement convaincant ; ce qui est très loin d'être le cas, en général, de tous les comédiens de son âge au cinéma !), fruit de l'union matrimoniale au centre des débats, qui, faute d'yeux, sait employer ses autres capacités pour affronter des événements judiciaires et des événements familiaux difficiles, mais aussi pour comprendre. Et il y a Madame Ambiguïté qui pointe son nez ambigu.
Ben oui, on a une accusée. On a un accident, un meurtre ou un suicide. Mais aucune preuve incontestable de quoi que ce soit, par l'intermédiaire d'un témoignage solide ou d'une preuve scientifique irréfutable. Uniquement des suppositions ainsi que des a priori. Donc, les comédiens de ce théâtre du réel qu'est le tribunal ne peuvent utiliser impitoyablement que leur pouvoir de conviction et leur talent oratoire pour tenter de faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre (autant en séduisant les spectateurs que les jurés !) en essayant de cerner l'actrice principale, celle dans le box, de trouver des motifs de pourquoi ça pourrait être un crime ou non, en tentant de disséquer, pour atteindre cet objectif, dans ses recoins les plus obscurs et complexes, un couple, avec enfant inclus, qui se déchirait (oui, il y a la chute physique mortelle du défunt mari, mais métaphoriquement, on parle aussi de la chute d'un mariage !). La vie à deux n'est pas forcément un long fleuve tranquille.
Otto Preminger avait réalisé l'Autopsie d'un meurtre (œuvre à laquelle Anatomie d'une chute fait penser, non seulement parce que c'est aussi un film de prétoire, mais parce qu'il prend aussi le temps d'étudier le moindre mécanisme d'une audience !), Justine Triet a réalisé celle d'un couple.
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le 24 août 2023
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