Dixième film de Catherine Breillat, Anatomie De L'Enfer semble malheureusement être l’œuvre la plus mal-aimée de la cinéaste, ou voire peut-être la plus incomprise. Tout y est pourtant explicitement pertinent, à l'image des thèses de Schopenhauer, de Kant ou de Spinoza qui se sont, eux aussi, penchés sur la contextualisation philosophique du désir charnel. Sauf que Breillat ne contextualise rien lorsqu'elle disserte, elle purifie. La différence est alors de taille.
Une jeune femme désespérée tente de mettre fin à ses jours dans les toilettes d'un club queer. Sauvée par un homosexuel, elle lui propose de le rémunérer durant quatre nuits pour qu'il la regarde dans son intimité la plus obscène qui soit. Sans désir et sans jugement...
Quelque part, cette femme sans nom (visible alter ego de la cinéaste) pourrait être Alice devenue adulte, personnage principal et adolescent du premier long-métrage de la cinéaste intitulé Une Vraie Jeune Fille, où Breillat matérialisait ses propres questionnements sur la féminité en adaptant son premier roman, L'Homme Facile, rédigé à l'âge de 17 ans. Le personnage incarné par Amira Casar s'est par ailleurs longuement questionné sur le regard que l'homme porte sur la femme et ses réponses, face à un monde régit par une indétrônable mascarade, l'ont guidée au cœur d'une détresse suicidaire. Sensible et poétique, cette femme sans nom a pleinement conscience d'un patriarcat millénaire qui conduit les femmes à se soumettre à une forme d'admonestation prodiguée par la faiblesse des hommes. Et pour ne pas intensifier un discours féministe humiliant, voire même moraliste, à l'égard des hommes, Catherine Breillat choisit d'illustrer à sa manière L'Origine Du Monde, célèbre tableau de Gustave Courbet, où Ève et Adam, totalement désacralisés, s'anthropomorphiseraient dans la peau d'Ariane et du Minotaure. Sauf que la violente lutte mythologique mue ici en communication entre deux inconnus qui vont se livrer l'un à l'autre (et l'un dans l'autre) jusqu'à l'illumination transcendant la crainte de leurs propres faiblesses.
Une pureté de l'esprit extrêmement rare dans une œuvre cinématographique qui vaut largement 100 000 discours féministes pré-#MeToo qui négligent, bien trop souvent, les fondements de nos peurs les plus enfouies.
Avec ses maux sous forme de mots, Catherine Breillat a sûrement un siècle d'avance pour être entendue à sa juste valeur. À l'instar de l'incompréhension du (pourtant judicieux) choix du célèbre hardeur Rocco Siffredi pour incarner cet homme viril, automatiquement lié à l'image pornographique pour les spectateurs, et dont la destinée se verra magistralement altéré pour le meilleur suite à sa rencontre avec cette jeune femme suicidaire car dépossédée de ses valeurs humaines et féminines.
Spécialiste des séquences chocs (les expériences sous forme de jeu avec la cyprine et l'urine dans Une Vraie Jeune Fille, la violente sodomie en guise de perte de virginité dans À Ma Sœur !...), Catherine Breillat utilise ici une multitude de métaphores avec le sang menstruel absorbé par un Tampax qui se voit ingurgité par les protagonistes. Le purisme des corps, sans une once d'affèterie, contrecarre ainsi des siècles d'hypocrisie catholique qui ont forgé notre culture sexuelle, mais aussi sentimentale, bardé d'interdits et de morales anticonstitutionnelles ordonnancés par des hommes bien souvent misogynes. Avec Anatomie De L'Enfer, Catherine Breillat ose bousculer les conventions pour réhabiliter quelques valeurs féminines primordiales et les femmes insatiables de liberté ne peuvent que l'en remercier.