Contrastant avec l'âpreté du précédent volet encore ancré dans une esthétique 70’s, ce deuxième épisode des Angel Guts établit des bases précises à la série au croisement des décennies : crépuscule des années 70 contestataires, aux beaux et tristes portraits féminins, et aube des années 80 décadentes, à l’esthétisation rutilante prenant le pas sur les personnages devenus coquilles vides juste bonnes à être menottées, fouettées et violées par des bergers allemands (j’invente rien...). Les films scénarisés par Takashi Ishii se veulent introspectifs sur le genre érotique, passé à Nikkatsu d’héroïnes bovariennes à victimes de viols voyeuristes, et conscient de son public. Alors restons réaliste : l’introspection c’est bien pratique pour faire du crapuleux la conscience tranquille, mais au moins cela donne de plus beaux personnages que la norme.
Version vidéo de ce texte : https://youtu.be/IsPcnt0Rewk
Muraki, comme nous, est spectateur de film érotique. M’enfin lui sur le tabouret d’une projection clandestine, nous tranquillement dans un canapé voire à la cinémathèque française. Devant une scène de viol typique d’écolière pourchassée par des camarades, le mec se prend d’affection pour la victime. Pourtant il est lui-même patron d’une petite boîte de photos pornographiques, sorte de personnage des Pornographes d’Imamura, ce qui ne l'empêche pas de tomber dans le travers du fantasme de pureté et perfection qu’il colle à une image de jolie fille en souffrance. La vérité est autre lorsqu’il tombe sur “l’actrice” (contre son gré apprend-t-on) désireuse d’oublier son passé. Le cliché qu’il lui colle n’est pas celle de la réalité : nymphomane autodestructrice noyant son malheur dans le sperme, Nami n’attend pas un sauveur.
À l’instar de Nami, Keiko la régulière de Muraki doit, pour attirer l’attention de son homme, s’emprisonner volontairement dans la surimpression d’une diapositive cochonne qu'il se projette. Muraki, spectateur passif et hors réalité, frustré et un tantinet agressif avec sa compagne, ne prête plus attention qu’aux images et poursuit une chimère.
L'esthétique s’oriente vers une atmosphère onirique grâce aux déambulations pleine de spleen de ces deux mal-êtres solitaires et incompatibles. Magnifique ville triste trempée par un sale temps de pluie fine dont le reflet amplifie les couleurs néons et chaudes du bien nommé quartier rouge où trône une décharge. Mais plus qu’une image rutilante que seul un studio pouvait donner à l’érotique habituellement plus fauché, Chūsei Sone conserve son goût pour l’expérimentation formelle : reflet distordu, scènes heurtées par des inserts de panos flous et étirement du temps comme lors de la séquence centrale : scène de cul de 14 minutes, parmi les plus réussies (avec un miroir bien placé pour maximiser la vue) d’un genre contraint par la censure pubienne. Abandonnée, Nami a ramassé un homme au bar. Loin du manque cruel de charisme des actrices du cinérotique indépendant, Yūki Mizuhara, carnassière beauté turbulente, le regard provocateur, malicieux et affamé, cheveux ébouriffés, ressemble à une lionne à crinière jouant avec sa proie avant de traîner le rétif dans sa tanière.
Cette bascule acte le retrait du masculin : anonyme disparu dévoré derrière la porte de la chambre, et Muraki impuissant à changer la réalité pour l’image qu’il s’en fait et définitivement second rôle de sa vie réduite à observer Nami enfermée dans l’image d’une flaque d’eau boueuse qu’elle se renvoie.
Ambiance mélancolique et lente donc. Les amateurs d’exploitation pure et dure devraient peut-être s’orienter vers le 3ème volet, Angel Guts : Nami, idées visuelles en pagaille, politique et intelligemment centré sur le spectacle du viol, qui plutôt que le spleen urbain de Red Classroom et Red Porno part dans le mystère et l'horreur moins langoureusement distancié.
https://www.senscritique.com/liste/Roman_porno_Nikkatsu/2585540 (une de mes listes les plus populaires, je devrais coller "porno" à tous les titres)