"Angèle" est l'adaptation au cinéma du roman de Giono "Un de Baumugnes".
D'abord, il faut que je dise que "Un de Baumugnes" ainsi que "Regain" sont pratiquement les deux seuls romans de Giono que j'aime bien. Et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir essayé de lire du Giono. Et comme par hasard, ce sont aussi les deux films de Pagnol que je préfère. Et de plus, les deux films sont fidèles (au moins en esprit) aux romans, ce qui n'est pas pour me déplaire.
"Angèle", le film, est une belle photographie de la Provence (les Alpes de Haute Provence ou les basses Alpes, plus exactement) d'il y a un siècle environ. La terre est pauvre, l'eau est rare et il faut travailler dur pour une maigre production. Des journaliers courent de ferme en ferme pour y louer leurs bras pour quelques semaines ou quelques mois et sont payés au lance-pierre. Le fermier est tout puissant et gère sa famille d'une main de fer. C'est lui qui décide de ce qui est juste ou pas, ce qui est moral ou pas. Les droits des femmes, n'en parlons pas. Quant aux écarts de conduite des filles, ils peuvent irrémédiablement ruiner leur réputation (pour préserver celle de la famille).
Mais "Angèle" est aussi une belle leçon d'humanité. La leçon ne viendra pas du père d'Angèle qui est le patron de la ferme, enfermé dans ses principes rigoristes et une morale étroite, issus d'une religion essentiellement punitive. Presqu'indigne. Non, elle viendra d'un vieux journalier qui croit en d'autres principes et en d'autres morales. Le rôle est admirablement tenu par un Edouard Delmont qu'on ne présente plus avec sa dégaine incertaine, sa voix cassée mais sa volonté de fer. Ce personnage est le narrateur du roman. Quand il prend sous son aile le jeune journalier qui se désespère d'amour pour cette Angèle qui a choisi de suivre le beau parleur marseillais, il va jusqu'au bout de sa tâche ou de sa mission. Et pourtant cet Edouard Delmont n'est qu'un homme qui aime bien profiter de la vie (le lit de la patronne de la ferme de Meyrargues, une bonne lichette de vin, …). J'adore cet acteur que j'aime retrouver ici et là dans nombre de films méridionaux de cette époque …
C'est comme le jeune journalier, celui de Baumugnes, justement. Il est joué par un jeune Jean Servais (22 ans) qu'on reconnait très bien à sa voix qui n'a jamais changé. Un comédien dont on pourrait penser, aujourd'hui, qu'il est spécialisé dans des rôles de salauds. Ben non, ici, il joue le rôle d'un ouvrier journalier honnête, fidèle et bon. La discussion orageuse entre lui et le père d'Angèle est absolument inoubliable et bouleversante. Son rôle est celui d'un homme, un vrai.
Fernandel dans le rôle du valet de ferme, enfant de l'assistance, un peu simplet est lui aussi admirable dans ce film. D'abord, il amène un peu de gaité dans le film puis il est l'huile qui graisse certains maillons.
La scène avec Angèle dans sa chambre de Marseille est touchante de délicatesse quand il finit par comprendre ce qu'est devenue Angèle. Pas si benêt que ça, le rôle de Saturnin.
On en arrive au rôle d'Angèle joué par Orane Demazis. Orane Demazis est une actrice issue du muet et qui, à mon avis, a rencontré des difficultés en passant au cinéma parlant. D'abord sa voix, disons -le, n'est pas terrible et la dessert un peu. Dans Angèle, elle a 40 ans et plus vraiment l'âge du rôle. Mais, je trouve qu'elle s'en sort pourtant très bien. C'est peut-être justement une synthèse de ses qualités et de ses faiblesses qui fait qu'elle est tout-à-fait bluffante et pleine de candeur dans le rôle d'Angèle. La première fois que j'ai vu le film il y a fort longtemps, je me disais lors de la scène de séduction d'Andrex "non, mais quelle cruche" ; à la réflexion, il est bien possible qu'une telle scène soit crédible si on accepte de revenir à un temps où l'attrait de la ville pouvait être un puissant moteur pour quelqu'un jamais sorti de sa campagne.
Très beau film et très digne adaptation d'un très beau roman.
Voilà !