L'inestimable et irrésistible Takeshi Kitano est vraiment imprévisible, un an près "L'été de Kikujiro" : son film le moins violent et le plus innocent (puisque mettant en scène l'enfance), il signe son film le plus violent : body count d'"Aniki, mon frère", 78 ! 78 morts en 108 minutes du film, c'est quelque chose. Et les morts chez Kitano, bah c'est de l'harakiri, du dézingage par paquets à coups de flingues. Mais ce qui atténue cette violence extrême, presque en surdose, c'est la surprise à laquelle elle arrive, on le sait Kitano use d'un montage qui enlève le superflu : on ne voit presque jamais comment les coups vont être portés, juste l'acte.
Ainsi le crevage d'œil avec tesson de bouteille qui arrive au bout de cinq minutes de film est drôle, parce que surprenant. "Aniki, mon frère" est le sixième Kitano que je vois et, pour le moment, mon préféré. J'ai ressenti ce quelque chose à la fin de séance de particulier.
Sans doute grâce à son rythme, bien moins lent et riches en temps morts, qu'à l'habitude : bien sur on voit des personnages jouer au basket, aux dés, mais c'est bien dérisoire en comparaison d'interminables scènes de jeux de plages de ses précédents longs-métrages.
Kitano met en scène ce qu'il le passionne : les yakuzas, ça avait déjà été le cas notamment dans "Sonatine" et leur rend un hommage absolu, ayant visiblement une grande connaissance du milieu. Les yakuzas ont un code d'honneur très particulier et l'acteur / scénariste / réalisateur le montre, ce n'est pas joli à voir mais c'est nécessaire.
On comprend aussi très vite que bien que les yakuzas soient japonais, ils peuvent vivre n'importe où : Yamamoto (Kitano lui-même) n'a pas d'autre choix que d'aller s'exiler à Los Angeles où il est hébergé par son demi-frère qui traficote avec quelques blacks : un petit trafic, rien d'ambitieux, sauf que Yamamoto, mine de rien, ne disant pas grand-chose (comme la plupart des personnages incarnés par Kitano) voudrait que son demi-frère et ses potes se fassent respecter et pour cela, il faut bien sur tuer le caïd du coin. Et ce ne sera qu'un début...
Mais au delà de l'hommage au yakuzas et du côté "Scarface" (version Hawks), "Aniki, mon frère" est une très belle histoire d'amitié entre Yamamoto et Denny, ça avait pourtant très mal commencé (d'après vous, à qui Yamamoto a crevé un œil en début de film ?), mais progressivement, du respect va grandir entre les deux hommes et Denny deviendra le second fidèle, loyal (comme doit l'être un yakuza, même si Denny en est pas un) de Yamamoto. Une relation, faite de petites blagues (l'humour discret et burlesque de Kitano), de confidences.
Eclatant la frontière de la couleur de peau et de l'âge.
Si Kitano est comme à son habitude excellent dans son inexpressivité, il est secondé par un Omar Epps (plus connu pour la série "Dr. House"), dynamique, parfait.
Musicalement, comme à son habitude, Hisaishi livre une partition impeccable, urbaine collant aussi au décor de Tokyo que de Los Angeles.