Anora
7.2
Anora

Film de Sean Baker (2024)

Anora souhaite qu'on l'appelle Ani. Elle y tient, elle insiste.

Elle exerce avec beaucoup d'enthousiasme et de talent le métier de strip-teaseuse dans un bar de New-York. En une soirée les clients défilent dans un petit salon privé où pour quelques billets elle se frotte sur l'entre jambes de types en extase. Jusqu'au jour où Vanya un très jeune homme russe de 21 ans demande à rencontrer une escort qui parle sa langue. C'est le cas d'Ani. Les deux jeunes gens passent une soirée ensemble, puis un peu plus. Puis le jeune homme lui demande de l'accompagner pendant une semaine contre rémunération et enfin lui propose de l'épouser. Eblouie par le luxe qui entoure le garçon qui est le fils d'un richissime oligarque russe mais aussi sincèrement amoureuse de Vanya, Ani accepte... Nous n'en sommes qu'à peine au tiers du film car les parents du garçon restés à Moscou vont débarquer et tenter de tout faire pour annuler ce mariage.

Le film se décompose clairement en trois parties. La première voit les deux jeunes gens alterner les fêtes où l'alcool et la drogue coule et se sniffe à fond et les parties de jambes en l'air aussi joyeuses que déchaînées. C'est dans cette partie (un peu longuette) que le réalisateur se fait un poil complaisant voire voyeur en insistant lourdement sur les fesses parfaites, les twerks frénétiques de son actrice principale et les ébats fougueux des deux choupinous. Et pourtant déjà on est emballé par l'énergie qui se dégage et surtout on s'attache à ce petit couple sexuellement très compatible qui entre deux secousses se met à jouer à la Play ou regarder la télé. La pretty woman consentante et enthousiaste est emmenée en jet privé à Las Vegas et se voit passer la bague au doigt à plusieurs carats. Le prince charmant traite sa Cendrillon comme une princesse. Tout va bien, c'est la fête, c'est la joie, c'est l'amour. On croit au conte de fées mais on se doute que la belle mécanique va se gripper.

Tout se complique lorsque les parents de Justin apprennent le mariage. La mère, hystérique au bout du fil envoie Toros chargé de surveiller le garnement lors de ses escapades à New-York régler l'affaire. Occupé ailleurs, Toros a quitté Vanya des yeux et il charge deux hommes de mains, Garnyk et Igor de ramener Vanya à la raison. C'est à partir de là que tout part véritablement en cacahuètes.

Red rocket et The Florida project les précédents films de Sean Baker évoquaient déjà la vie et les galères de petites gens qui essayaient de s'en sortir. Ses personnages avaient déjà quelques caractéristiques qui les faisaient sortir de l'ordinaire, mais Sean Baker passe clairement la vitesse supérieure en imposant ici une jeune femme qui semble à peine sortie de l'enfance, issue du trottoir, à de puissants et vilains russes. La deuxième partie enferme Anora avec deux russes, puis trois dans la luxueuse demeure de Vanya et face à la réaction surprenante de ce dernier, elle doit se débattre (dans tous les sens du terme) seule contre les molosses qui font sans doute trois fois sa taille et son poids. La scène qui dure environ 20 minutes (je l'ai lu, je n'ai pas regardé ma montre) est d'une violence et d'une drôlerie inimaginables. Sommés de ne pas lui faire de mal, les trois sbires estomaqués se voient forcés de résister comme ils peuvent au séisme provoqué par Anora, à ses coups et aux tombereaux d'insultes qu'elle déverse.

La troisième partie est une course poursuite réjouissante et trépidante qui accumule les surprises et les rebondissements. Certains la trouvent trop longue, il n'en est rien. Chaque nouvelle péripétie est étonnante, révèle peu à peu un peu plus la couardise et l'immaturité de Vanya mais surtout confirme un talent exceptionnel d'écriture de scenario. S'y ajoutent une mise en scène sans faute et une belle image "propre".

Et sinon c'est quoi une Palme d'or ? Je ne trouve pas vraiment de définition mais depuis M.A.S.H. (1970), une palme ne nous avait sans doute jamais fait autant rire. Et depuis Pulp fiction (1994, Président du jury, Clint) n'avait sans doute pas autant secoué le cocotier du ronron des films d'auteur souvent primés. Après recherche réflexion, je constate que The square ou Titane étaient aussi plutôt des choix surprenants, mais on ne vas pas chipoter. Anora est une bombe et on sort de la salle époustouflé, galvanisé, prêt à dévorer le monde. Et pourtant, pendant un peu plus de deux heures on est secoué par ce film constamment imprévisible qui commence comme une rom-com, se poursuit en baston puis en cavalcade pour se calmer étrangement. L'amour n'est peut-être pas là où on l'imagine et il faut être un peu plus attentif-ve.

La brochette de personnages n'est pourtant pas la plus sympathique du monde : une pute (mais pas vraiment) ordurière, un petit con suffisant, des sbires bas de plafond, des mafieux, des riches convaincus que tout leur est dû et permis, une jeunesse abrutie... mais par un tour de passe passe maîtrisé par un réalisateur malin qui aime ses personnages et nous les fait apprécier, on s'attache et on s'abandonne (lol). Sans oublier la force d'un casting étincelant, énergique, admirablement dirigé où brille Mickey Madison la tornade, entourée par beaucoup de garçons qui parviennent à exister.

En plus de l'étonnante et volcanique Mickey Madison (que Leonardo DiCaprio faisait taire au lance-flammes dans Once upon a time... in Hollywood) Mark Aleksandrovich Eydelshteyn dans le rôle du petit con, acteur russe de 22 ans, mélange avantageux du physique et des bouclettes de Timothée Chalamet et Jacob Collier et Youri Aleksandrovitch Borissov autre acteur russe (vu dans Compartiment N° 6 et Le capitaine Volkonogov s'est échappé) craquantissime (ne le perdez pas des yeux pendant le film, isolé dans son coin : il joue) sont à surveiller de près. Karren Karagulian (présent dans tous les films du réalisateur), dans le rôle de Toros, toujours au bord de l'implosion tant il a peur de perdre son job est également irrésistible de drôlerie.

Et attention, après nous avoir fait rire aux éclats, secoués dans tous les sens, Sean Baker qui maintient sans faiblir les rebondissements jusqu'au tout dernier moment, nous terrasse dans une ultime scène, une dernière image qu'on attendait et qu'on espérait plus.

Alors oui, une Palme d'or, je valide !

LaRouteDuCinema
9
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le 2 nov. 2024

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