Avant toute chose, je précise que ce film est à mettre en relation avec le reste de la filmographie de Sean Baker sans quoi l'on perd, je trouve, du sens.
Anora, c'est donc le conte très acerbe, entre Cendrillon et Pretty Woman, d'une jeune *lap-danseuse* tombant sous le charme d'un fils d'oligarque russe au cours d'une virée dont les "plus de 10" ont le secret à Las Vegas. La jeune femme l'épouse assez rapidement et tombe tout aussi rapidement dans la déchéance.
Sur le plan formel, l'image est très belle, Sean Baker utilise encore l'argentique a bon escient et la lumière dans son film est hypnotisante, entre celle aveuglante et enivrante de Vegas et des boites de nuit et celle plus terne, hivernale, de la ville. Pas de révolution technique, mais un regard documentaire, traditionnel du cinéma américain indépendant, qui adopte souvent le point de vue d'Anora avec une forme de douceur et d'empathie, toujours assez juste.
Le film est découpé en 3 parties très claires : l'enivrement de la fête, la non-acceptation de la réalité et le brutal retour au quotidien, le rythme inégal du film sert le propos de Sean Baker.
En effet, les parties sont construites dans une sorte d'écho, la première montrant avec un male gaze très volontaire l'objectification du corps d'Anora par les hommes. Cette dernière s'en sert volontairement pour tirer profits multiples (argent, voyages...) mais le film avec sa construction de conte semble perdre cette recherche du profit pour une croyance assez enfantine en l'histoire d'amour pourtant très puérile que construit le jeune russe Vanya, comme le montre la scène du baiser sous les faux feux d'artifice de Vegas.
La seconde partie tire en longueur et commence déjà à accentuer un comique critiquant autant les hautes classes qu'une mafia russe parodique et assez ridicule composée d'un simili Robert de Niro assez pathétique et d'hommes de main stupides mais finalement assez humains, quand Vanya et ses parents servent eux de réceptacles de la bêtise humaine, entre enfant pourri gâté et parents manipulateurs ou menaçants. Les personnages, qui entrent en résonance avec ceux d'un Ruben Ostlund (Triangle of Sadness, notamment) sont réduits à des caractères assez restreints, qui ne permettent pas de demi-mesure. Certaines scènes sont longues et permettent de constater l'ampleur de leur puérilité et/ou stupidité, alors qu'une ironie se dégage du caractère ridicule de ces grandes fortunes - dont le comportement est parfois franchement écoeurant.
Tout est ainsi fait pour brosser en troisième partie le tableau d'une longue gueule de bois, d'un retour a la réalité difficile, de la maison d'Ivan a la voiture d'Igor, l'un des hommes de mains, pour créer une très belle scène finale qui entre complètement en résonance avec la scène d'ouverture :
là où la longue première scène montrait une femme sous le regard d'un homme, utilisant sur fond de musique de boite son corps pour récolter de l'argent de manière froide et désintéressée, avec un recul presque comique, la dernière scène du film montre Ani ou Anora tentant de remercier Igor pour le vol d'une bague avec son corps en le chevauchant malgré son absence totale de sentiments pour ce dernier. C'est alors que la jeune femme craque, semblant relâcher toute la pression accumulée pendant un film finalement extrêmement dense et tendu, mais aussi pleurer sur l'utilisation désincarnée de son propre corps qu'elle ne semble même plus prendre de plaisir a mouvoir.
Ainsi, le film sous son premier habit de comédie satirique à l'eau de rose possède une grande profondeur entre critique désabusée d'une classe sociale puérile et stupide, et plongée documentaire dans le milieu de la prostitution, montrant à l'écran les souffrances provoquées aux femmes par le regard masculin et la corruption par l'argent sous des masques enfantins.
Si ce n'est - à titre personnel - pas le meilleur film de Sean Baker que j'ai vu, il entre en résonance avec la filmographie de Sean Baker et doit permettre au grand public de porter son regard sur des oeuvres comme Red Rocket. Maintenant, c'est avec une grande hâte que je me tournerai vers les films futurs de Baker, auréolé d'une étiquette plus imposante, mais aussi de Mikey Madison, qui brille de mille feux et qui semble promise à une carrière, contrairement à son personnage, sans feux de paille.