Anora, Palme d’or amplement méritée au dernier Festival de Cannes, est une comédie corrosive, gonflée et non-dépourvue de profondeur sur les démêlés d’une escort-girl avec le fils d’oligarques russes. Dans le rôle éponyme, Mikey Madison est épatante.
Anora, jeune strip-teaseuse de Brooklyn, se transforme en Cendrillon des temps modernes lorsqu’elle rencontre Vanya le fils d’un oligarque russe. Sans réfléchir, elle épouse avec enthousiasme son prince charmant ; mais lorsque la nouvelle parvient en Russie, le conte de fées est vite menacé : les parents du jeune homme partent pour New York avec la ferme intention de faire annuler le mariage.
Le festival de Cannes n’octroie que très rarement la récompense suprême à une comédie. Quasi-exclusivement à des drames ce qui n’est pas pas une critique. Pourtant, la comédie est un genre à part dans le cinéma et si difficile à faire. Et si les bonnes comédies sont rares, il est heureux que le jury présidé par Greta Gerwig ait récompensé le film de Sean Baker.
Car ce qui fait du bien, dans ce film, c’est son humour mordant, vif, méchant. On retrouve chez Sean Baker un peu de la virulence dont avait fait preuve Ruben Östlund dans Triangle of Sadness, en particulier contre l’indécence et l’oisiveté des ultra-riches. On ressent dans Anora cette férocité, un brin de cynisme. En revanche ce qui différencie Sean Baker de Ruben Östlund, c’est que le réalisateur sait faire preuve d’empathie pour son héroïne strip-teaseuse quand le réalisateur suédois s’attaquait à tout le monde, des riches aux plus modestes.
Ici, le cinéaste n’est jamais en surplomb. Il observe avec bienveillance son héroïne, ses illusions et ses espoirs d’échapper à sa condition. Le film est guidé par un émouvant pessimisme quant à la possibilité d’une escort-girl d’échapper à sa condition et à son milieu. Le film dit beaucoup de la violence économique et du mépris de classe. Même pour le fils de l’oligarque russe qui l’épouse, Anora n’est qu’une fille de passage. Ce regard, cette profondeur apporte le contrepoint nécessaire à l’aspect corrosive de la comédie et confère un parfait équilibre au film.
Sean Baker filme admirablement bien ce milieu du strip-tease, du club. En témoigne l’efficace ouverture du film, qui débute par un travelling latéral sur des strip-teaseuses au travail avec leurs clients. Ce mouvement de caméra, loin de vouloir rincer l’œil du spectateur, dit tout de la crudité, de la dureté et du sordide de ce métier. Sean Baker filme ce métier sans tabous mais sans la complaisance, non plus, d’un Paul Verhoeven dans son horrible Showgirl.
Ce qu’il y a de très réussit dans le film, c’est sa construction et la gestion de sa durée. Le film se compose de deux parties. La 1ère est celle de l’idylle entre Anora et Vanya qui se déroule sur plusieurs jours, voire semaines. La 2ème partie, qui débute avec l’intervention des russes, se déroule sur deux jours. Ce contraste et cette rupture de rythme confère une énergie, un allant au film et une efficacité indéniable. La deuxième partie qui relève la plupart du temps de la comédie en ressort mise en valeur. Certaines scènes sont parfaitement étirées en longueur, afin d’en tirer tout le potentiel. Notamment dans cette brillante où deux sbires russes des parents débarquent dans la luxueuse villa de Vanya et d’Anora. Un troisième homme doit arriver et suit, en attendant, la scène au téléphone. Cette scène est absolument hilarante dans sa tentative burelesque. C’est ce qu’on a vu de plus drôle au cinéma ses derniers temps.
Dans le rôle-titre, Mikey Madison crève littéralement l’écran particulièrement dans cette scène. Elle a du bagout, de la présence, un débit mitraillette et est pour beaucoup dans la réussite du film. Superbement photographié, bien rythmé, très bien monté, le film vaut le détour pour sa férocité, son ton. Ouf, on rit enfin devant une palme d’or.