Cette Amérique des marges dont parle Sean Baker, à travers une filmographie entièrement dédiée à ceux à qui on a distribué les mauvaises cartes et qui tentent malgré tout de battre le jeu. Anora s'ajoute à la liste, glorieusement. Une Palme d'Or dans la besace et les récompenses ne s'arrêteront pas là c'est certain. Baker signe là son film le plus accessible, et pourtant difficile à classer. La première heure survitaminée nous colle dans les pattes d'Ani, travailleuse du sexe qui a suffisamment tapé dans l'œil d'un minot plein aux as pour espérer vivre la grande vie. Une redite de Pretty Woman ? En plus sale et mal élevé (en tout cas pendant une heure). Baker n'a pas perdu son goût pour les personnages sur la corde raide, Ani (magique Mikey Madison) est aussi séduisante qu'elle est calculatrice. Elle aura la sympathie qu'on veut bien lui accorder, Anora ne cherche jamais à manipuler le spectateur pour le tromper. Les chemins avec la rom com de Garry Marshall se séparent à mi-parcours, le temps pour l'héroïne de voir son trip virer very bad et qu'une course-poursuite improbable s'enclenche. On perd en énergie ce qu'on gagne en éclats de rire, principalement grâce à un duo de nervis russes dépassés et d'un parrain à deux doigts de la syncope. Le long-métrage mute en une espèce d'odyssée urbaine foutraque entre l'After Hours de Scorsese et le cinéma des frères Sadfie. Un truc bruyant et rocambolesque mais dont on peine presque à voir le bout. Et c'est la que se trouve la meilleure surprise du film, un épilogue où Anora change une dernière fois de forme et prend à la gorge. Si Baker se garde de juger, il envoie valser les dernières illusions avec un mélange de cruauté et d'ironie qui ramène tout le monde à sa place. Avant de nous laisser sur note plus douce, avec ceux qu'ils aiment tant. Ceux qui font avec les cartes qu'ils ont, même s'ils auraient bien voulu en piocher d'autres...