Couronnée par la Palme d'or, Anora redonne un nouveau souffle au cinéma indépendant américain. Sean Baker tend à mettre en lumière les invisibles de la société à savoir une travailleuse du sexe en la personne d'Anora, renommée Ani. Sa rencontre avec Yvan, fils d'un oligarque russe, vient bouleverser sa vie. Un cadeau tombe du ciel et lui offre la possibilité de quitter sa condition sociale. Mais quelle place occupe le sentiment amoureux dans un monde où le pouvoir de séduction équivaut à celui du portefeuille ? On pourrait même douter de son existence.
Sur ce point là, Baker évite le piège moraliste. Il ne porte aucun jugement sur ses personnages mais les accompagne dans leurs rêves marqués au fer rouge par le capitalisme sauvage. Leur rêve américain ressemble à un spring break. L'argent coule à flot, la baise rythme leur journée et la drogue dynamite le plaisir de chaque instant. Yvan, l'enfant roi, déambule dans son palace en glissant pour accèder à son mini bar. La PS4 incarne le passe temps ultime. Aucun écart possible entre désir et réalité.
Mais cette vie d'excès n'est pas sans conséquences et l'équipe de ménage paieront les frais de ces nuits tapageuses.
En revanche, Ani connait le réel et sa dureté quotidienne. La routine implique le métro, la vie en colocation et les conditions de travail précaires. C'est une prolétaire qui utilise son corps comme un outil de travail et rêve d'un ailleurs qui ressemblerait à une vie de princesse. Mais le conte de fée vire au drame sous la pression parentale.
La deuxième partie opère un brusque virage et donne lieu à une incroyable scène de combat tragicomique qui rappelle l'absurdité acerbe de Sans Filtre. Si la comédie déclenche la frénésie, c'est la mélancholie et la désillusion qui finiront par l'emporter lors d'une séquence finale à couper le souffle.