Anora est le deuxième film de Sean Baker que j'ai l'occasion de voir. Quelques années après un "Florida Project" que j'avais trouvé quasiment indigne d'intérêt, notamment car on y suivait des personnages tout bonnement détestables. A chaque fois qu'un film prend le parti pris de suivre des anti-héros, il me semble important de donner au spectateur d'autres éléments pour s'attacher à ceux-ci (de l'empathie vis à vis de leur situation, une particularité qui les rend fascinant...). Anora continue en partie dans cette voie, tout en ajoutant bien d'autres choses bien plus passionnantes à son récit.
Les 40 ou 45 premières minutes d'Anora ont eu le don de me foutre sur les nerfs. Une succession de scènes de débauche quasiment sans fil directeur, qui ne semblent mener à rien. Si l'on comprend le comportement de l'héroïne, qu'elle se fasse (avec joie) embarquer dans ce bourbier de bringues et de culs, d'abord par l'argent, puis très vite par l'euphorie d'un amour naissant. Il m'a été impossible de tisser le moindre lien affectif avec la galerie de personnages secondaires. Ils sont TOUS (Yvan en tête de liste) détestables. J'ai alors commencé à m'interroger. Est ce que Sean Baker, à la manière d'un Larry Clarke "light" ne serait qu'un réalisateur fasciné par la débauche, cherchant à nous montrer l'excès sans arrêt jusqu'à l'indigestion ? Jusque là, c'est long, un peu chiant et franchement très agaçant.
Puis Anora et Yvan se marie et un autre film commence.
D'un coup d'un seul, Sean Baker transforme son film en une comédie noire basée sur un humour de situation. Et faut bien le dire, ça devient drôle, très drôle même parfois (toute la scène des hommes de main dans la baraque d'Yvan est une pépite, et Dieu sait qu'elle dure longtemps). Petit à petit, comme le flow ininterrompu d'insultes qui sort de sa bouche, Anora se révèle en vraie guerrière combative, embarquée dans un torrent de péripéties dont on sent vite qu'elle n'est pas prêt de sortir. Brillamment interprétée par une Mikey Madison au top, Ani refuse de baisser les armes au nom d'un amour qui a tout pour paraître délirant. Étrangement, tous les nouveaux personnages secondaires semblent se mettre au diapason et deviennent tous drôles, ambiguës, profonds... Faut bien le dire, malgré quelques longueurs dans les recherches d'Yvan (quelques scènes de recherche dans les bars semblent vraiment superflues et plombent plus le rythme qu'autre chose), tout le segment central du film est un régal. On rit de bon coeur, on déborde d'empathie pour cette vaillante héroïne, en somme, on prend son pied tout en sentant qu'il y a bien peu de chances que tout se termine bien pour notre vaillante héroïne.
Puis aussi brusquement que le second film a démarré, il se conclut et c'est presque un troisième qui vient prendre sa place en guise de dernier acte.
Malheureusement, si je ne l'ai pas détesté comme le premier, celui-ci me laisse un peu circonspect. Déjà, à ce moment du récit, tout semble quasiment conclu, remettre une nouvelle couche de récit plombe sacrément le film et tout ça commence à être fatalement un peu long. La forte Ani a peut-être perdu une guerre qu'elle n'avait pas la moindre chance de gagner, pour autant, elle n'a pas baissé pavillon, est restée fidèle à elle même, droite dans ses talons aiguilles. Si on la sent éprouvée par la multitude de merdes qui lui tombent sur la gueule, on ne peut qu'éprouver du respect pour la cohérence avec laquelle elle a affronté une à une ces épreuves. Jusqu'à une dernière scène (que je vais spoiler donc)... où enfin, elle laisse échapper la tristesse qui devait la ronger depuis le début des emmerdes.
Et je m'interroge sur le sens de cette dernière scène. Il m'a semblé y voir une femme qui laisse enfin tomber le masque de guerrière qu'elle avait endossé pour laisser échapper sa tristesse. Mais pourquoi ? A mon sens, car, bien qu'elle n'a pas voulu le montrer précédemment, elle a été atteinte par toute cette histoire. Est ce que malgré toute la façade qu'elle a gardé tout le deuxième acte durant, Ani a finalement cru que l'amour qu'elle portait à Yvan leur permettrait de renverser ses montagnes familiales ? C'est mon interprétation, je n'arrive pourtant pas à en être pleinement sûr... A vous de vous faire la vôtre.
Anora est donc un film assez paradoxal, où le mauvais côtoie le bon, parfois même l'excellent. Un presque "trois film en un" dont je n'ai vraiment apprécié qu'un seul segment (le plus conséquent). Je lui accorde volontiers le fait qu'il me restera probablement en tête dans l'interprétation de sa fin et ses questionnements. Indéniablement plus réussi que "The Florida Project", de là à avoir reçu la Palme d'Or... Comme cette dernière scène, chacun se fera son avis.