Anselm : Le Bruit du temps s’inscrit dans une recherche engagée d’émotion, de culture et d’ouverture. Le film appréhende pleinement les dimensions monumentales du travail de Kiefer.
« L’Histoire pour moi est un matériau comme le paysage ou la couleur » déclare Anselm Kiefer (Petit dictionnaire des artistes contemporains, Pascale Le Thorel-Daviot). Ce goût obsessionnel de l’archive fonctionne aussi en miroir, à la manière d’une mise en abîme du travail documentaire de Wim Wenders lui-même. Le génie du film réside dans l’effacement apparent du réalisateur, néanmoins présent en creux, à chaque instant. Le lien entre les deux hommes se lit entre les lignes dans le partage d’un héritage national complexe et pesant. Cela se transcrit dans un amour commun des ruines, ou encore dans leurs relectures post-modernes du motif romantique de la mélancolie et de la solitude contemplative. Ces esthétiques en nuances de gris expriment le trouble face à un passé générateur d’interrogations.
Au fil de l’œuvre, on observe une accumulation de toiles de paysages désolés, d’installations peuplées de fantômes et de structures de béton à demi écroulées. Le film est une immersion saisissante dans un univers sombre mû par un besoin vital et inquiet d’introspection. Anselm Kiefer est un archéologue du traumatisme de la Seconde Guerre mondiale. Il plonge au plus vif et au plus douloureux de l’Histoire, alternant confrontation et suggestion. Le magnétisme de son travail est renforcé par ces multiples techniques d’évocation, tantôt traitant des batailles, tantôt jouant d’insinuations pesantes.
Ce profond hommage à Anselm Kiefer s’inscrit dans une série de portraits de contemporains commencée en 1980 avec Nick’s Movie, sur le réalisateur Nicholas Ray. Cette recherche s’est prolongée jusqu’aux plus récents Dancing Pina (2011), sur la chorégraphe Pina Bausch, ou Le Sel de la Terre (2014), revenant sur la carrière du photographe Sebastiao Salgado. En 2018, un documentaire sur le pape François avait également montré son attachement à ce format de film rétrospectif.
Anselm : Le Bruit du temps est un film poignant car né d’une réelle complicité esthétique et intellectuelle. Les deux créateurs ont en commun l’amour de la photographie, ainsi qu’une quête méditative et éthique de réécriture de l’Histoire et du réel. Ce portrait de l’artiste au travail marque une consécration spirituelle entre intimité et monumentalité.
Auteur : Elio Cuilleron
Site d'origine : Contrastes