Antiporno
6.8
Antiporno

Film de Sion Sono (2016)

En confiant la réalisation d’un des films du projet de reboot du roman porno au réalisateur Sion SONO, il fallait s’attendre à ce que le produit fini ne soit pas – au mieux – qu’une pâle copie des roman porno d’alors. Rapidement, le nom du film est révélé ; Antiporno. Compte tenu de ce titre, il semblait désormais évident que le réalisateur allait comme à son habitude dynamiter le cadre de ce nouveau projet pour le transformer en une œuvre personnelle empreinte de ses propres leitmotivs, comme il l’avait notamment fait l’an passé avec Tag.


Le film introduit rapidement le personnage de Kyoko, une star de la mode qui s’ennuie dans son appartement en attendant une interview. La jeune femme – interprétée par une Ami TOMITE qui ne cesse de surprendre après ses performances dans Tag et The Virgin Psychics, du même réalisateur – déambule dans son appartement aux couleurs criardes, se laissant aller à des monologues passionnés, qui ne sont pas sans rappeler l’esthétique du film Keiko Desu Kedo, film expérimental de la première heure de la carrière de Sion SONO. Rapidement, le personnage de Kyoko est rejoint par différents interlocuteurs ; son assistante personnelle qu’elle se plaît à humilier et à violenter, ainsi que l’équipe de journalistes chargée de l’interviewer, qui vont la mettre face à ses contradictions, la poussant jusqu’à une violente crise d’identité.


Car avec Sion SONO, rien n’est jamais simple. Les rôles s’inversent et se confondent, la réalité est intangible et la fiction la dépasse. Au-delà d’un simple roman porno, c’est une véritable réflexion sur le cinéma qu’offre le réalisateur avec Antiporno, renouant ainsi avec le message véhiculé par la comédie Why Don’t You Play In Hell? et plus succinctement avec son très court métrage réalisé dans le cadre de l’anniversaire de la Mostra de Venise. Dans Antiporno, Kyoko est une actrice, on peut la voir contempler sa performance à l’écran, exister dans les films et jouer dans sa réalité. Dans cette pièce surréaliste où le non-sens côtoie la surenchère, réalité et cinéma se confondent alors tant pour le personnage que pour le spectateur. La solution de facilité reviendrait à comparer ce nouveau métrage de Sion SONO au chef-d’œuvre de Satoshi KON, Perfect Blue. Mais si les deux films sont effectivement comparables dans l’idée, ils tendent à des fins différentes. Là où Satoshi KON s’attache à ausculter la véracité de la réalité, SONO fait de cette question sa situation initiale et interroge la question d’identité, en se focalisant sur ce personnage de femme moderne dans le Japon contemporain. Comme dans Tag, Sion SONO érige la femme, ses interrogations et sa sexualité comme un étendard symbolique opposé à ce Japon en proie au militarisme et au paternalisme.


Antiporno jouit d’une esthétique travaillée et d’un minimalisme déconcertant. Le film se déroule dans un appartement clos et la réalisation fluide parvient à nous perdre entre les quatre murs de cette pièce, renforçant ainsi le sentiment d’égarement de Kyoko, ainsi que celui du spectateur. Car dans cette quête métaphysique où tout semble se confondre, le réalisateur prend une fois de plus à partie son public. Non content de jouer avec les nerfs de ce dernier, Sion SONO harangue le spectateur lubrique venu voir un roman porno et le place face à lui-même. À l’instar de Tag, où le message profondément féministe du film prenait à revers le spectateur balourd venu voir des lycéennes se faire démembrer à tours de bras, Antiporno explore la question de l’érotisme et de la sexualité féminine, incluant le public – a fortiori masculin – dans cette réflexion.


Plus encore qu’avec Love & Peace, Sion SONO fait avec Antiporno un véritable bilan de sa carrière cinématographique et artistique. Outre les similitudes notables entre ce dernier film et Keiko Desu Kedo, ainsi que les thématiques chères au réalisateur évoquant tour à tour Why Don’t You Play In Hell? et Tag, on retrouve dans Antiporno les aspirations de Guilty Of Romance couplées à l’atmosphère mystérieuse et fataliste de Suicide Club. De même, l’austérité patriarcale qui pèse sur le personnage de Kyoko n’est pas sans rappeler Strange Circus et le personnage interprété par Ami TOMITE va jusqu’à reprendre les ultimes mots prononcés par Reina TRIENDL dans Tag. De surcroît, non content de proposer une fois de plus un patchwork de sa carrière cinématographique, SONO élargit son panel et incorpore dans son métrage les récentes installations qu’il a conçu à l’occasion de sa première exposition dans la galerie du collectif d’artistes Chim↑Pom, et n’hésite pas à faire intervenir dans des caméos remarqués plusieurs de ses collaborateurs artistiques, l’actrice principale de Strange Circus Fujiko ainsi que la mannequin Manami USAMARU en tête.


Antiporno est véritablement un ovni cinématographique, et si on ne peut pas vraiment dire qu’il s’agit véritablement d’un bon film, il peut se targuer d’être intéressant dans son visionnage et son analyse. La première partie du métrage a de quoi inquiéter tant tout le maniérisme du film est livré brutalement au spectateur. Incarnant les pires affres d’un cinéma japonais braillard, Ami TOMITE est d’abord excessive et irritante, fidèle à son interprétation dans The Virgin Psychics. Évoluant avec le film, le jeu de la jeune actrice s’affine jusqu’à retrouver la justesse de Tag, une preuve que cette dernière mérite ce premier rôle principal face à la caméra de Sion SONO.


On retrouve donc bien dans Antiporno les leitmotivs de l’œuvre du cinéaste qui s’ancrent ici dans un discours profondément féministe et antimilitariste, à l’instar de Love & Peace. Malheureusement, le cinéma de SONO semble avoir perdu de sa délicatesse au profit d’un message martelé au spectateur. De même, tout cela semble être devenu quelque peu systématique dans l’œuvre du réalisateur, et on espère que le prochain métrage de Sion SONO nous donnera tort et saura nous surprendre.

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le 4 nov. 2016

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