La comédie made in France ne cesse de faire peau neuve, et s’aventure cette fois sur le chemin de la superposition entre la réalité idéalisée (Stevenson et son voyage dans les Cévennes avec son ânesse) et l’idéal dans le réel (Antoinette à la découverte d’elle-même, avec son âne Patrick). Le scénario promet quelques facéties ne serait-ce que par le titre du film, hommage aux feuilletons de tous genres (Martine à la ferme) aux relents faussement ingénus. On se doute très tôt que les Cévennes sera un lieu, certes magnifié, mais vide de substance symbolique ou historique, et qu’Antoinette (gentiment prédisposée à notre empathie par son simple prénom) sera la femme archétypale, un pied dans l’univers du post #Metoo et un pied dans la romance victorienne que la tutelle de Stevenson rappelle tout au long du film. Il arrive à Antoinette la même galère qu’aux autres, une frustration amoureuse qui ne connaît d’égale que son immature réaction épidermique : suivre son amoureux (pourtant marié et bon père de famille) dans les Cévennes, avec tout l’attirail nécessaire à la traversée légendaire du massif (Patrick l’âne compris). Un matériau riche en possibilités burlesques mais aussi en observation des rapports humains en milieu alternatif. « L’univers » des randonneurs, puis celui des motards est survolé avec bienveillance, davantage pour montrer l‘insolite choix d’Antoinette et son évolution en tant que personnage que pour poser un regard ethnologique sur ces tribus nomades.Le film avance plutôt lentement, respectant la foulée d’un âne placide mais sympathique compagnon. Il prend le temps de planter la relation entre Antoinette et Patrick, sous le signe de l’apprentissage et du retour aux valeurs « vraies » : la patience, l’écoute, la tempérance, la gratitude, la générosité. Une vieille lubie que cet adage selon lequel l’animal a beaucoup à apprendre à l’homme sur lui-même. C’est le sujet et l’objet du film.Ces différentes étapes de la mise au diapason des deux personnages créent l’occasion de quelques gags sympathiques, rarement gratuits, où l’expressivité de Laure Calamy fait merveille à grands coups de : « Patrick !!!! » aux multiples modulations qui ne peuvent que faire sourire les spectateurs générationels de la Bruel mania. Les longs soliloques qui accompagnent la promenade sont autant de miroirs tournés vers l’intériorité du personnage, qui d’abord aveugle à la beauté des Cévennes et sourd à la dimension méditative de la marche s’ouvre peu à peu au monde et commence à accepter, puis surmonter ses fragilités.En outre, ce que la jeune femme découvre avec son âne ne se traduit pas immédiatement en vertus. Dans la séquence tant attendue des retrouvailles avec son amant, Antoinette se confronte à une réalité brutale : la complexité d’une relation de couple et de famille, qu’elle contribue à fragiliser par ses instances de midinette. Une première séquence nous avait déjà placé dans l’indiscrète position de voyeur (le premier repas à l’auberge), mais une seconde confronte la femme trompée et sa « rivale » en un plan séquence à la fois tendu et tenu. Les deux femmes conversent avec franchise, simplement séparées par la foulée lente de Patrick. La femme trompée énonce les faits, Antoinette reste dans le déni, et l’âne poursuit son chemin. Ici, si l’homme est le sujet de la conversation, c’est bien l’âne qui a pris sa place dans le champ de la caméra. Si l’homme s’avère un âne qui ne mérite peut-être pas le mal que s’infligent les deux femmes, on verra toute l’humanité que l’âne saura transmettre à Antoinette en fin de métrage. La mise en scène reste globalement sage, la caméra s’efface derrière les très beaux tableaux de nature du film, et à distance de son héroïne, présente dans tous les plans. Le rythme ralenti un peu vers la fin, hésitant entre la dimension contemplative et la conclusion inéluctable de la séparation entre Antoinette et Patrick. Happy end oblige, on ne se quitte pas vraiment, mais on n’est pas tout à fait dupe non plus, on botte en touche jusqu’à la prochaine étape. A terme, le moment sympathique que procure ce film, parfois vachard, constitue une réussite sur le fil ténu de la romance revue et corrigée par une équipe de femme qui a bien conscience que le monde a changé, mais pas totalement.