L'histoire - sinon tout à fait le film - s'ouvre sur le retour dans le village de son enfance, après la libération, d'Antonia et de sa fille Danièle, à l'occasion de la mort de sa vieille mère folle, et suit de là la vie d'Antonia et de sa lignée dans le village :
Et c'est ainsi qu'Antonia et sa fille Danièle retournèrent dans le berceau de leurs ancêtres. Les deux femmes s'installèrent dans la maison rose, et avaient si peu à faire avec le village que les villageois finirent par les accepter, comme ils acceptaient une mauvaise moisson, un enfant déformé, ou l'omniprésence évidente, quoi que peu probable, de Dieu.
Le propos du film est justement cette acceptation de l'existence, dans ses bonnes et mauvaises moissons, ses beautés comme ses déformations. Et le constat, final et parfait, que
Alors que cette longue chronique atteint sa conclusion, rien n'est parvenue à sa fin
Cela se fait, bien sûr, dans l'affirmation fémino-centrée, semi-matriarcale, d'un ensemble de valeurs concernant ce qui est susceptible de constituer une bonne vie ou une bonne personne, intransigeante sur la liberté mais sérieuse quant aux responsabilités, amoureuse de la vie ordinaire mais admiratrice de l'exception (il y a même un bout de cours sur la théorie des catégories !), et surtout sans pitié face à l'absence de bienveillance.
L'histoire a quelque chose du conte de fée, mais ne se voile pas la face devant la violence, la maladie et la mort, qu'elle affronte par la communauté, la joie, et le travail de réparation.
La première fois que j'ai vu le film, je n'étais pas vraiment prêt au déluge ininterrompu d'émotions qu'il a provoqué en moi, et qui est réveillé à chaque visionnage. Assurément, il ne s'agit pas uniquement du film dans cette histoire, mais aussi de moi. En un sens, c'est comme si le film n'était pas tant "fait pour moi", que moi plutôt fait pour le film, au sens où le film, les valeurs qu'il exprime, et les histoires qu'il raconte sont tellement en accord avec l'éducation que j'ai reçue que c'est comme si j'avais été éduqué pour lui ou en accord avec lui. Comme, j'imagine, de la littérature chrétienne pour des personnes dévotes, c'est une réalisation artistique en parfait accord avec le microcosme de pensée et de culture qui a fait mon éducation. C'est sans doute le plus profondément personnel de mes films préférés.
Mais je ne crois pas pour autant me voiler la face, en pensant qu'il s'agit assurément d'un film parfait, au sens simple qu'il est dénué de fausse note et accomplit exactement ce qu'il s'est mis en tête d'accomplir. Et que, plus encore que cela, il est peut-être la meilleure réalisation que je connaisse du type de narration qu'il s'efforce d'entreprendre. Il ne s'agit pas d'une adaptation de roman, mais c'est comme s'il était la plus belle réalisation au cinéma d'un certain genre de narration romanesque qui a occupé le cinéma européen dans ces années (dans des films comme Le Tambour ou Le Festin de Babette).
C'est tout simplement pour moi, sans nier ce que ce jugement a de personnel, un des plus beaux films qui existent.