Anzu, chat-fantôme
6.1
Anzu, chat-fantôme

Long-métrage d'animation de Yoko Kuno et Nobuhiro Yamashita (2024)

Je peux désormais témoigner de mon expérience en festival, rien qu’à Annecy, les marathons sont parfois intenses, sur une durée cependant plus restreinte qu’à Cannes, mais tout de même suffisante pour remplir à rabord chaque journée au point où la fatigue devient l’un de tes principaux ennemis, devant le temps (si si, c’est possible). Du coup vous conviendrez que commencer par une séance à 8h du matin, ça n’est sur le papier, pas le moment le plus enthousiasmant de sa journée de festivalier, au détail près qu’ici, le film du jour a le bon ton de venir comme un baume au cœur de chaque marathonien du septième art ; et plus généralement, de chaque spectateur cherchant un tant soit peu de réconfort en salles obscure. C’est un petit bonbon acidulé, passé par Cannes, ne se limitant pas qu’à sa fonction de film « feel-good » mais qui a su illuminer le lac et la croisette au gré de sa petite heure trente. Un récit tranche de vie en pleine campagne nippone, retraçant les pérégrinations d’une jeune fille abandonné par son looser de père et d’un chat-fantôme, félin à tout faire censé la protéger ou au moins lui faire passer du bon temps.

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Malgré un point de départ intrigant, Anzu chat-fantôme n’a pour autant pas reçu des retours aussi dithyrambiques à Cannes qu’espéré, d’autant pour un film d’animation, médium ô combien sous-estimé ici mais qui délivre chaque année au moins un chef-d’œuvre, comme le futur Flow (toujours avec un pôti chat). Considéré ici et là comme un film mineur du festival, c’est pourtant selon moi la simplicité d’exécution de l’ensemble qui a su me capter et me parler. En effet, Anzu chat-fantôme est, au moins dans ses débuts, très minimaliste, reprenant ce sous-genre particulièrement en vogue dans le manga (aussi car très adapté à un format de diffusion plus étalé, parfois hebdomadaire), à savoir le « slice of life », tranche de vie en français. Contant littéralement les vacances quelques peu abracadabrantesques de la jeune Karin, s’efforçant de faire les 400 coups tout en profitant pour le meilleur et le pire de cet invité surprise dénommé Anzu. Présentable comme un simple personnage comique, ce qu’il est en partit, Anzu arrive pourtant à se démarquer, et à reprendre les traits plus protecteurs et cajoleurs d’un Totoro, sans pour autant rester totalement lisse, et au gré de ses différents petits boulots, on retrouvera le matou empêtré dans ses propres conneries et parfois même sa propre hypocrisie. Un duo pas novateur, mais sur lequel le long-métrage table en partie, et alloue énormément de coeur et d’esprit. Ils sont charmant ces deux loustics, d’autant que leurs relations n’est jamais au beau fixe, elle est très humaine tout simplement, malgré les caprices et bêtises de l’un ou de l’autre, on se projette très facilement et on sent malgré toutes les péripéties du long-métrage une réelle amitié indéfectible se dessiner et ne pas lâcher le spectateur jusqu’à son ultime plan ; le genre de scène finale coupant à l’exacte bonne seconde et concluant de la meilleure des manière son récit, avec à la fois satisfaction (émotionnelle) et logique (esthétique). Et pour lier le tout, que ce soit la fable sur l’amitié sur le papier convenu et ces problématiques notamment liées à l’enfance que le film aborde sans édulcorer ses personnages, il y a un point qui rend Anzu non seulement attachant mais aussi réjouissant : l’humour. Il y a de l’esprit dans Anzu, car disons-le sans crainte, c’est un film extrêmement drôle, le sens du timing comique est constamment bien dosé tout en jouant sur différents tableaux, parfois du slapstick, suivi de comique de dialogue ou même de situation, on ne sait jamais forcément à quoi s’attendre et Anzu se révèle alors réjouissant. D’autant plus réjouissant que le doublage est quand à lui extrêmement bien performé, notamment du côté d’Anzu et des autres spectres et yokais que croiseront les protagonistes, qui assument le cartoon de leurs personnages tout en dosant pour ne pas tomber dans le ridicule. Les quelques onomatopées de chat d’Anzu fonctionnent notamment à merveille, et certaines blagues plus puériles n’ont pas perdu les grands enfants d’Annecy lors de ma projection. A noter cependant que j’ai vu le film en version original, avec les voix japonaises, mais je dois avouer que les extraits disponibles en vf me paraissent convaincant.

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Cependant comme dit plus haut, il y a un vrai savoir-faire qui dépasse quelque peu la grande simplicité d’exécution du long-métrage et c’est en grande partie son atmosphère à la fois extrêmement solaire et surtout son ton plus surréaliste, moins attendu sur ce genre de production familiale. Effectivement, Anzu n’est pas le seul fantôme dans les environs, et le film qui en découle embrasse entièrement la notion de fantastique, mais surtout de mythe. Anzu chat-fantôme est alors un superbe voyage dans la culture nippone, nous faisant découvrir toutes les facettes de leurs dénommés « yo-kai » avec beaucoup de ludisme, de cœur et surtout d’humour. Je retiendrai par exemple le dénommé « dieu de la pauvreté », présenté comme un personnage comique secondaire mais dont les caractéristiques s’étoffent étonnement bien au-delà des situations comiques. Le tout en recherchant encore une fois à explorer tout le potentiel surréaliste, fantastique aussi donc, de ces personnages, dans un cadre de tranche de vie tout à fait banal duquel apparaît l’extraordinaire, un extraordinaire sous le signe de l’hommage, l’hommage d’une culture connue et reconnue mais dont on explore assez peu ces recoins un peu moins touristiques. De ces campagnes provinciales que n’aurait pas désapprouvé Ozu, aux mythes et légendes qui enchantent ces lieux, comme avec la partition sonore à la fois mystérieuse et ensorcelante, en partit grâce aux instruments et au savoir-faire local superbement singé. Cela vient par ailleurs casser ces atours de « déjà-vu », et ce dès la première scène, la rencontre entre Karin et Anzu, sans hystérie, cliché ou forçage, mais avec une pointe bienvenue de burlesque dans le cadre, vient amorcer l’anormalité ordinaire des relations entre la société japonaise et leurs spectres. Ainsi, chose inattendue, pas de scénario à la E.T. ou Les Schtroumpfs, on ne cache pas cette créature fantastique au reste de la population, au contraire on l’expose, on l’aime, et on l’inclut dans la vie de tous les jours. Voilà une petite idée qui donne pourtant bien du poids au reste du récit, sur la longueur, et surtout une petite pic bien placée aux tokyoïtes, desquels le matou se déguise et se cache, comme pour montrer le gap tout de même conséquent entre la manière de vivre et penser entre population provinciale et citadine nippone. C’est en tout cas une des pistes de réflexion qui survient d’Anzu chat-fantôme, le genre de petit détail plus ou moins subtil qui vient donner une dose de substance à un fond bien moins innocent et commun qu’on peut croire, ce qui amplifie à la fois l’émotion véhiculée par le long-métrage et surtout les éclats de rire, sincères et tous bien placés.

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Évidemment, Anzu chat-fantôme est loin d’être parfait, et dans sa nature même de comédie familiale légère, certains attributs peuvent sembler assez sous-exploiter. Car il faut dire que mine de rien, ce film aborde pas mal de sujets, ou du moins les incarne par une myriade de personnages tous plus hauts en couleur les uns que les autres, avec un travail purement visuel assez dément. Il faut à ce sujet parler deux secondes de l’animation, entièrement réalisée en rotoscopie, et de cette technique, découle deux constats. Tout d’abord, c’est beau, le travail de lumière aux décors colorés et pastels renvoi à merveille l’atmosphère vacancière et ensoleillée transmise par le long-métrage. Surtout, l’animation des personnages est absolument remarquable, c’est certes fluide, à la fois dans ses instants réalistes et cartoon, mais à aucun moment on ne sent la technique, qui a servis à rendre bien plus réaliste les mouvements et expressions faciales, mais qui passe totalement inaperçue quand on regarde le long-métrage en lui-même et on profite du spectacle sans s’extasier ou pester contre la réalisation ; ce qui est le minimum pour s’immerger dans un film. Cependant, je dois avouer qu’Anzu chat-fantôme peine trop souvent à trouver sur quel pied danser quand à sa narration, qui comme je l’ai décrit, est en constante ambivalence entre réalisme et fantastique. Or, si le long-métrage arrive à superbement développer son duo principal ; autant pour les personnages en eux-mêmes que leur relation amicale, il n’en n’est pas forcément de même pour les autres spectres et humains rencontrés et qui se retrouvent trop souvent à mon goût comme des faire-valoir du scénario. Alors oui j’ai noté le bon développement du « dieu de la pauvreté », et je pourrai faire de même avec la mère de l’héroïne, bien que morte (enfin vous verrez), malgré tout, du grand-père aux enfants, à ces spectres gentils jusqu’aux Onis, le long-métrage semble lâcher beaucoup de leste pour donner de la vie à son univers, mais peine à trouver le juste milieu entre le plus et le mieux. Là où cela devient cependant assez rageant par moments, c’est que ces personnages influent souvent sur le scénario, qui par son empreinte de « tranche de vie », peine aussi à trouver un fil rouge réellement solide avant son dernier tiers, où nos personnages quittent la campagne pour Tokyo, et où le long-métrage aborde plus frontalement le lien entre Karin et sa mère décédée.

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C’est cependant peut-être le prix à payer pour les metteurs en scènes de ce film afin de capter au mieux un jeune public à des thèmes pas toujours évidents sans tomber dans le drame. Si un sentiment mélancolique et doux-amer émane de l’œuvre, c’est, et assez rare pour le souligner, bien plus pour son atmosphère solaire pleine de nostalgie que pour la dureté émotionnelle de certaines scènes. Ainsi Anzu chat-fantôme est un film qui peine à trouver la bonne symphonie, mais qui accouche d’une partition plus sensible et moins convenue que certains de ses congénères, meilleurs ou non, peu importe, encore une fois, le long-métrage se trouve sa propre identité. Et surtout les réalisateurs en reviennent à la pureté de leur histoire in extenso de leur public cible, éminemment familial, touchant ainsi d’avantage les potentiels spectateurs de tout âge non par son humour, son histoire ou même son contexte culturel, mais bien plus par ses personnages, qui sont le coeur du film. Du surréalisme dans leur concept en eux-même (notamment avec certains esprits), bien aidé par des expressions faciales à la fois réalistes et cartoon, le long-métrage ne se limite pas à un type d’humour précis et arrive au contraire à insuffler énormément de vie dans son mélange de genres, de tons et d’idées plastiques. C’est un film qui derrière le minimalisme de son récit engage à explorer les profondeurs de la culture filmée et surtout à donner énormément d’âme aux simples vacances d’une jeune fille ; montrant la richesse d’une culture, et tout le savoir-faire des artistes derrière, qui arrive à donner du poids à ses scènes comiques dès lors parfois hilarantes. C’est en tout cas un film qui ne rejettera selon moi personne, qui bien qu’assez inégale dans sa structure, se révèle particulièrement touchant dans son ensemble, grâce à la sincérité du propos et la nuancée exercée sur ses personnages, et encore une fois surtout son duo, qui est ainsi la cerise sur le gâteau de cet été solaire, dont j’ai apprécié me remémorer des beaux souvenirs dès l’entame du générique. Bref, malgré ses atours de déjà-vu, Anzu chat-fantôme se démarque, même dans le caractère de ses personnages, jamais lisse, toujours nuancé, souvent tendre, parfois désabusé, nostalgique ou inquiet, c’est toute une palette d’émotion que le long-métrage inspire alors, d’une manière parfaitement mesurée et assez unique pour le jeune public auquel on pourrait croire l’œuvre uniquement destinée. Ainsi, en dehors de son aspect « feel-good » qui transparaît de ses visuels et de la douceur de son récit, Anzu chat-fantôme arrive à au final convoquer bien plus autant dans ses thématiques que ses émotions, bien que restant sobre et bon enfant dans un ton comique doux-amer assumé et parfaitement travaillé pour le plus grand bonheur de ses spectateurs.

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C’est en tout cas un film qui ne rejettera selon moi personne, qui bien qu’assez inégale dans sa structure, se révèle particulièrement touchant dans son ensemble, grâce à la sincérité du propos et la nuancée exercée sur ses personnages, et encore une fois surtout son duo, qui est ainsi la cerise sur le gâteau de cet été solaire, dont j’ai apprécié me remémorer des beaux souvenirs dès l’entame du générique.

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le 24 août 2024

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