100ème critique ! J'y ai mis le temps, mais j'y suis. Ça s'arrose ! L'occasion de parler d'une œuvre que j'apprécie tout particulièrement. Un jeu d'enfant, non ?
Oui, un jeu d'enfant, à condition de n'aimer que quelques films et livres. Et Dieu sait que ce n'est pas mon cas. Donc le choix a été dur.
Mon choix s'est donc porté sur Apocalypse Now, en dépit de l'appréhension qu'un critique peut avoir en commençant à écrire sur un tel monument. Je l'ai vu pour la première fois il y a près de huit ans, et j'avais décidé de l'aimer, de l'adorer, d'en faire MON film. C'était l'époque où je commençais à affiner ma cinéphilie, pour faire du septième art plus qu'un simple passe-temps.
Et au final, même si mon amour de ce film a été un peu exagéré par son attente et son mythe, même si j'ai un peu mûri et appris à le voir pour ce qu'il était (et non pour son statut de « film culte »), même si je déplore quelques défauts comme un rythme trop lent et une musique un peu datée, il fait toujours partie de mon top 10.
Je ne reviendrais pas sur la génèse du film : tout le monde connait l'histoire du tournage le plus apocalyptique de tous les temps ; si sur le débat version cinéma vs. version "redux" ; ni sur ses innombrables qualités… beaucoup en ont déjà très bien parlé.
Il me semble plutôt intéressant de noter la place de ce film au sein de son genre propre. La plupart des films de guerre sont soit pro-guerre, soit anti-guerre (ces derniers étant nettement plus nombreux depuis quelques décennies). On trouve de très bons exemples de ces deux démarches dans toute l'histoire du cinéma.
Apocalypse Now, lui, semble se placer un peu à cheval entre la dénonciation et la fascination. Certes, la guerre y est montrée dans toute son horreur ; mais d'un autre côté, tout est fait pour que le spectateur « s'éclate ». L'assaut héliporté sur le village Viêt-Cong en est un exemple parfait. Tout dans cette scène est filmé pour provoquer l'exaltation chez le spectateur, une sensation d'épopée, un souffle guerrier (souligné, évidemment, par l'utilisation intra-diégétique de la Chevauchée des Valkyries de Wagner). À plusieurs reprises, les personnages disent aimer être sur place (Lance ne dit-il pas : « Putain, mec, c'est mieux que Disneyland ici ! ») et le spectateur ne peut s'empêcher de sympathiser pour eux. N'oublions pas que derrière Apocalypse Now, il y a Coppola, mais aussi John Milius, futur auteur du célèbre Conan le barbare ; le genre de type qui a du être un viking dans une autre vie.
Alors, film militariste ou pacifiste ? Choisir l'une de ces deux options reviendrait à prendre position sur la guerre comme telle, alors qu'il se pourrait bien qu'un tierce choix soit possible.
Peut-être est-ce là qu'il faut trouver l'originalité d'Apocalypse Now. Plus qu'un film de guerre, c'est un film sur la guerre, sur ses conséquences en l'homme, son pouvoir de fascination et les ravages moraux qu'elle cause.
Peut-être aussi est-il un regard sur le rapport de l'Amérique à la guerre. Il y a du Sherman ou du Grant dans le colonel Kurtz, qui ne comprend pas pourquoi ses supérieurs veulent absolument humaniser ou adoucir la guerre (« Nous entraînons nos pilotes à lâcher du napalm sur les gens, mais leurs chefs leur interdisent d'écrire « Fuck » sur leurs appareils, car c'est obscène ! »). Pour lui, la guerre est brutale, violente, et c'est normal. Plus elle sera violente, moins elle durera. En réduisant Atlanta en cendres, on a mis fin à la guerre de Sécession. Donc, par la même méthode, on pourrait gagner au Viêt-Nam. Pourquoi donc s'acharner à dépeindre la guerre comme autre chose que ce qu'elle est ? Pourquoi l'adoucir, en dissimuler tant bien que mal la brutalité, sinon pour faire croire à quelque noble entreprise ? Couvrez cette guerre que je ne saurais voir !
Au fond, ce qui est reproché à Kurtz, c'est d'adhérer à une ancienne conception de la guerre, antique, païenne, où la violence fait la loi mais est assumée comme telle ; et de rejeter une vision moderne de la guerre, où l'horreur n'est pas atténuée (bien au contraire), mais est rendue acceptable, voire aimable. Pour habituer à casser du citron, on fait danser des playmates devant des soldats surexcités, on diffuse de la musique contemporaine, on fait du surf. Autant de choses qui cessent lorsque l'équipe de Willard atteint le camp de Kurtz (le grand spectacle nous quitte à l'instant pour ne jamais revenir).
Un affrontement entre la modernité et l'antiquité en somme. Strauss n'aurait peut-être pas détesté.
C'est de cet affrontement que nait la folie. Kurtz (et Willard) deviennent fou à cause d'une contradiction qu'ils ne comprennent pas et ne peuvent comprendre : on ne peut pas comprendre ce qui est contradictoire. En cela, Apocalypse Now est moins un film de guerre qu'un film psychologique, où chaque mètre gagné sur le fleuve nous éloigne un peu plus de la raison.
Ajouterais-je pour terminer que chaque plan est une toile de maître ? Que les acteurs sont parfaits ? Que la scène de la plantation française, loin d'être une rallonge malencontreuse, est un ajout d'importance ? Que les clins d'œil à Star Wars sont innombrables (les deux œuvres partageant plus d'une thématique) ? Que ce film est la preuve qu'on peut accoucher d'un chef-d’œuvre sans savoir où on allait quand on l'avait conçu ?
Je le pourrais peut-être, mais ça n'aurait pas d'intérêt. Mieux vaut voir le film et le laisser parler lui-même.