Il est des films qui transcendent la simple notion de film pour rentrer dans un autre plan, que l'on pourrait qualifier d'intemporel. Apocalypse Now est de ceux-là, dont la beauté hypnotique tout autant que le sujet traité ou la manière de l'aborder l'a fait rentrer dans une catégorie à part. Coppola a bien résumé la situation en déclarant "Ce n'est pas un film sur le Viet Nam, c'est le Viet Nam...".
Il est difficile de disserter sur ce film sans tomber dans la redite ou dans l'image facile. Mais comment ne pas être transporté dès l'introduction, ces sons d'hélicoptère crachant leurs flammes se mêlant aux riffs entêtants des Doors. Rarement entrée en matière n'aura aussi parfaitement préparé le spectateur à ce qui l'attend. La folie des hommes, transmise par le Lieutenant Colonel Kilgore, se heurte ici à la sauvagerie de la nature, à ce fleuve dont les méandres semblent représenter les circonvolutions de l'âme humaine, celles de Willard, superbement interprété par Martin Sheen, qui semble prêt à plonger dans la folie. Et celles de Kurtz, qui y est déjà plongé.
Plus le film avance, plus la photographie tend vers un registre halluciné, les couleurs se mêlent et se confondent, les conversations se font rares. Jusqu'à ce tiers (quart?) final, au coeur de la Birmanie, ce face à face avec un Brando boursouflé, comme un écho à son personnage. Rarement un face à face aura atteint une telle puissance au cinéma, la lumière presque inexistante, les dialogues si percutants, la fièvre que l'on sent brûler chez les deux protagonistes et cette horreur, cette horreur décrite par Kurtz et que l'on pourrait toucher du doigt dans cette atmosphère poisseuse.
Regarder Apocalypse Now tiens plus de l'expérience sensorielle que du simple visionnage. Difficile d'expliquer ce que cela fait à un public d'une sensibilité différente. Pourtant le plaisir reste intact à chaque fois, et les frissons de plaisir ressentis ne diminuent jamais. Il n'est pas évident de décrire tout cela avec des mots, aussi vaut-il mieux s'arrêter là et simplement savourer, plonger dans la jungle en sachant qu'on en ressortira pas indemne. This is the end...