Ceux qui connaissent un peu le Professore savent qu’Apocalypse Now est au pinacle de son panthéon cinéphilique ; insurpassable, et inusable bloc de granit noir, que le temps lui-même n’arrive pas à éroder.


Las ! Coppola, constatant que son ex-ami Lucas* avec le remontage-reliftage-charcutage de ses Star Wars avaient engrangé une petite fortune, décida de faire de même avec son opus : Apocalypse Now Redux était né. Depuis, pour notre plus grand malheur, seule cette version est disponible, aussi bien salles qu’en DVD. Nous plaidons donc pour la réédition immédiate de la version originale** mais d’abord, dégonflons la baleine Redux.


Baleine, c’est le mot, puisque le félin racé de 2h33 est devenu un cétacé pesant de 3h22. Au programme : un pseudo Director’s Cut, des scènes coupées, et une version « qui explique tout ».


Director’s Cut : Déjà, on se moque du monde, quand on sait que la production tenta en vain de remettre de l’ordre sur ce tournage qui s’enlisait en Thaïlande (envoyant même le scénariste John « Conan The Barbarian » Milius, qui revint converti).


Non, Coppola ne peut pas mentir : il a fait ce qu’il voulait sur Apocalypse Now. Il vendit même à ses producteurs un scénario guerrier, avec happy end, qu’il s’empressa de déchirer une fois sur le plateau ; et là commencèrent de longs mois d’écriture sous marijuana, tournage, réécriture, etc.


Scènes Coupées
Un autre mythe que ces scènes supprimées. Supprimées par qui !? Mais par Coppola lui-même, jugeant à l’époque que la scène de la plantation française ne marchait pas. Pourquoi la rajouter aujourd’hui, alors qu’elle n’apporte rien au film, et au contraire le dilue ? Idem pour les scènes de Brando rajoutées, pseudo-explicatives, sur sa transformation d’officier exemplaire en tyran sanguinaire. On sait les difficultés qu’eu Coppola avec la star, qui n’avait pas maigri comme il s’y était engagé (ce qui l’obligea à tourner dans le noir, pour le formidable résultat que l’on sait), et qui surtout, n’avait pas appris son texte. De ces improvisations délirantes, Coppola Version 1 tira un fabuleux poème philosophique de vingt minutes. Coppola Version 2 prétend nous donner des explications fumeuses qui justifie plus explicitement le comportement sauvage de Kurtz. Pourtant, il n’en est nul besoin ; les 120 premières minutes nous ayant suffisamment édifié sur l’absurdité de la guerre du Vietnam.


Pire enfin, est peut-être le traitement réservé au héros, le Capitaine Willard, « qui voulait désespérément un mission, et qui pour ses péchés, en recut une ».


Willard est l’un des plus intéressants personnages de fiction de ces 30 dernières années. Cynique, mais finalement juste dans le chaos de la guerre, marin professionnel sur une barque emplie d’amateurs, et qui pourtant, tel un héros grec, devra rencontrer sa Gorgone Kurtzienne pour s’accomplir. C’est assurément LE grand rôle de Martin Sheen (avec The West Wing, dans un autre genre), où son physique à la fois falot et déterminé en fait le point de vue idéal du film. D’abord présenté comme un type suicidaire lors d’une scène d’ouverture d’anthologie, il apparaît pourtant rapidement comme le seul type sensé au milieu de cet abîme qu’est devenu le Vietnam. Dès lors, le spectateur le suivrait jusqu’aux 9 cercles de l’enfer, ce qui ne manque pas d’arriver.


Mais Redux, par deux scènes idiotes, détruit la statue patiemment édifiée par la version originale. Une scène d’orgie avec des playmates*** qui vient à tort humaniser le personnage, et pire, la scène du surf volé à Kilgore, qui en fait soudainement le complice rieur de ses compagnons d’infortune. Dans la version d’origine, Coppola avait plutôt tendu ses efforts vers une difficile relation officier d’active – conscrits branleurs. Tout cet édifice s’écroule dans le sourire complice de Sheen.


Quiconque a eu le bonheur de pratiquer le cinéma en amateur sait la difficulté d’écrire un scénario qui 1) Se tienne 2) Soit intéressant 3) Soit matériellement réalisable. Et comme on est là pour se faire plaisir, il est très difficile de couper au montage une scène qui tient à coeur, surtout si on y a consacré beaucoup d’efforts à la tourner.


Dans le cinéma pro, c’est à cela que servent les producteurs : donner des limites, des contraintes, couper quand il le faut, bref, savoir dire non. Malgré un mythe français persistant, le producteur n’est pas un Dark Vador castrateur de pauvres artistes désintéressés. C’est d’abord un découvreur de talents, et ensuite l’accoucheur de leurs œuvres.


Apocalypse Now Redux, privé de l’indispensable cadre fourni par une production (Coppola étant en l’occurrence seul à bord), transforme son chef d’œuvre en bouillie amateuriste.


*ex-ami car brouillés depuis la période d’Apocalypse Now, comme en témoigne la petite vacherie cryptique : Harrison Ford en officier bégayeur et maladroit dans la scène du briefing : le colonel Lucas


**enfin originale, c’est vite dit, puisqu’il existait déjà plusieurs versions (générique de fin noir, générique avec explosions, etc.)


* dont l’unique objet était, pour Coppola, d’arriver à baiser l’une de ces authentiques playmates de Playboy, ce qu’il fit.


cinefast

ludovico
1
Écrit par

Créée

le 13 sept. 2019

Critique lue 1.4K fois

5 j'aime

7 commentaires

ludovico

Écrit par

Critique lue 1.4K fois

5
7

D'autres avis sur Apocalypse Now Redux

Apocalypse Now Redux
BazarMental
5

L'apocalypse, c'était mieux avant.

Difficile d'attribuer une note négative à ce qui reste un très bon film (étant donné le support de base, que je ne m'aventurerai pas à critiquer), mais puisque personne ne l'a encore fait sur SC il...

le 4 nov. 2018

11 j'aime

Apocalypse Now Redux
batman1985
10

Critique de Apocalypse Now Redux par batman1985

Des pales d'hélicoptères avec comme fond sonore la musique de The End du groupe The Doors. Un plan fixe sur une forêt de palmiers. Des fumigènes, un largage de bombe au napalm. Tout s'embrase...

le 13 août 2020

8 j'aime

Apocalypse Now Redux
Zolo31
9

C'est bien de réussir un film , mais c'est encore mieux de savoir le rentabiliser

Le grand Jimmy Page l'avait bien compris en étirant sans fin ses meilleurs solos de guitare, démontrant ainsi pour le plus grand bonheur du fan transi des qualités de persévérance et d'endurance qui...

le 30 juin 2018

8 j'aime

Du même critique

Shining
ludovico
9

Le film SUR Kubrick ?

Après le flop public et critique de Barry Lyndon, Kubrick a certainement besoin de remonter sa cote, en adaptant cet auteur de best-sellers qui monte, Stephen King. Seul Carrie a été adapté à cette...

le 7 févr. 2011

193 j'aime

86

La Neuvième Porte
ludovico
9

Un film honteusement délaissé...

Un grand film, c’est quoi ? C’est un film qui passe sur NRJ12 (en VF mal doublée), qu’on prend au milieu, et qu’on regarde jusqu’au bout, malgré l’alléchant Mad Men S05e1 qui nous attend sur Canal à...

le 23 janv. 2011

58 j'aime

3

Borgia
ludovico
3

on y a cru pendant vingt secondes, jusqu'au générique...

C'est parti pour la série événement de Canal+. Ils sont forts chez Canal, ils ne font pas de série non-événement ! Mafiosa, Braquo, Borgia : même combat. Pour cette dernière, on y a cru pendant vingt...

le 14 oct. 2011

41 j'aime

14