C'est un fait : depuis son épouvantable Passion du Christ, Mel Gibson est multi-millionnaire. Certes, il était depuis longtemps l'un des acteurs les mieux payés d'Hollywood, mais le succès planétaire de sa fresque prosélyto-gerbatoire a fait de lui un metteur en scène richissime et surtout financièrement indépendant qui peut se permettre à peu près toutes les folies. Si l'on pouvait légitimement craindre qu'il emprunte à nouveau la route du film religieux à fond nauséabond, bref, si Gibson avait résolument tout pour se prendre désormais très au sérieux et nous assommer ad vitam avec un cinéma à message pontifiant, il n'en est heureusement rien.

Et si le cinéaste n'a rien abandonné de certains de ses fantasmes et qu'Apocalypto baigne une fois de plus dans une violence "primale" qui rappelle par bien des aspects le final de Predator et son affrontement de titans dans la boue, le réalisateur de Braveheart a visiblement tenu avant tout à se faire plaisir. Certes, après avoir bouleversé les foules du monde entier en araméen, Gibson n'a pas pu s'empêcher d'utiliser une nouvelle fois le gimmick de la crédibilité historique pour nous abreuver cette fois de dialogues en dialecte maya, sans doute avec la volonté de mieux immerger le spectacteur dans l'action.

Et il est vrai que l'universalité des thèmes abordés (la protection du noyau familial, les tendances auto-destructrices des civilisations à leur apogée...) ne nécessite après tout guère de grand discours, et fonctionne de manière littérale à l'écran grâce à une mise en scène signifiante qui utilise brillamment l'incroyable travail des équipes artistiques. Le soin apporté à la reconstitution, que cela soit les costumes, les maquillages, les décors, est absolument extraordinaire, et aide à donner au film un crédit semi-documentaire qui pallie immédiatement aux éventuelles faiblesses du scénario en proposant un spectacle ancré dans le réel qui n'a besoin d'aucun artifice narratif pour exister.

Apocalypto peut bien se résumer à une simple chasse à l'homme, le contexte suffit à donner à ce survival d'un autre âge toute le punch et le sel attendus. Sèche et sans fioritures malgré un ou deux ralentis superflus, la réalisation de Gibson tire admirablement parti de décors hallucinants et d'une jungle étouffante avec des plans que n'auraient pas reniés certains action makers doués aujourd'hui répudiés par Hollywood. Certaines images magnifiquement "iconiques" montrant le héros Patte de Jaguar sortant pesamment de la boue ou éructant sa colère au pied d'une falaise, ont même une gueule pas possible et pourraient donner de vraies sueurs froides à tous les tristes saccageurs de comic books actuellement en activité au nord de l'Amazone.

Sans surprise, le contexte "historisant" et la recherche de véracité factuelle auront égaré certains critiques plus occupés à rechercher les anachronismes et les messages cachés - le jaguar est-il antisémite ? - qu'à prendre du plaisir devant ce qui n'est après tout qu'un film d'exploitation gras et fortuné, tel que pouvaient le rêver les italiens dans les années 80 (le premier film de mayasploitation ?). Un divertissement pur sans réelle substance qui joue sur des angoisses et des codes les plus primaires, comme pour mieux happer le spectateur dans un haletant combat pour sa propre survie.

Là où Passion du Christ était écoeurant de symbolisme lourd et liait intrinsèquement une forme pachydermique à un fond dégoulinant de connerie, Apocalypto marque le retour de Gibson à un cinéma quasi animal, instinctif, qui avait déjà fait miracle à l'époque de Braveheart quand il s'était agi de mettre en scène les batailles parmi les plus brutales et les plus sauvages alors vues sur un grand écran. Un cinéma primitif qui n'a cependant rien de primaire tant aussi bien la mise en scène, la photographie (superbe) et le découpage d'Apocalypto en font tout sauf un énième produit de consommation sans âme.

Un spectacle certes dépourvu de subtilité, mais qui a tout de la décoction revigorante, et fait plus que jamais revenir Mel Gibson dans la cour des réalisateurs à surveiller du coin de l'oeil, d'autant que contrairement à un certains George L., celui-ci n'a pas dilapidé sa fortune dans des déclinaisons bâtardes de son succès originel. Si Mad Max a encore en lui d'autres pépites de ce calibre, c'est quand il veut...
Prodigy
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le 16 mai 2010

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Prodigy

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