C’est seulement au moment du final que cet Appaloosa, de 2008 prend une autre direction psychologique que Warlock (L'Homme aux colts d’or), de 1959, de Edward Dmytrik, dont il est un remake non déclaré.
Appaloosa est d'abord le nom d’un cheval pommelé américain qui fut très prisé par les indiens et qui donna son nom à un précédent western de 1966 (moyen) réalisé par le canadien Sidney J. Furie : c'etait The Appaloosa (l’Homme de la Sierra) avec Marlon Brando, dont le personnage cherche à récupérer son cheval volé. Ce sujet n’a rien à voir avec ce film de 2008, réalisé par l’excellent acteur Ed Harris : Appaloosa est ici le nom d’une ville.
Par contre, ce western - ci ressemble beaucoup à Warlock, réalisé par Edward Dmytryk en 1959 (l’Homme aux colts d’or). Comme Warlock est le nom de la ville (cela veut dire "sorcier") et que Ed Harris fait aussi de Appaloosa le nom de la ville dans son propre film , on se dit qu'il assume bien le rapprochement des deux films.
Et en effet, la trame et le scénario d'interactions entre quatre personnages principaux sont semblables : un régulateur impitoyable joué par Ed Harris (autrefois par Henry Fonda) ; son fidèle adjoint joué par Viggo Mortensen (auparavant par Anthony Quinn) : un bandit violent et arrogant joué par Jeremy Irons (à la place de Tom Drake) ; et une femme entre eux tous jouée par Renee Zelwegger (dans ce qui fut le rôle de Dorothy Malone). Curieusement les deux films sont référés à deux romans différents, l'un de Robert Parker pour le film Appaloosa et l’autre de Oakley Hall pour le film Warlock.
Dans Warlock, il y a un personnage important de plus : joué par Richard Widmark, c’est un jeune bad guy repenti qui devient shérif, le représentant de la "vraie" loi, celle de l’Etat, par opposition au régulateur municipal joué par Henry Fonda, un homme de main payé généreusement par les notables du coin, un sorte d'intermittent au service de l’ordre privé des nantis.
Et il y a aussi dans Warlock un autre personnage : c'est une femme, bourgeoise et convenable, qui est jouée par Dolores Michaels, et qui s'attache au régulateur, mais qu’il abandonnera à la fin. Renee Zelwegger dans Appaloosa cumule en un seul personnage les deux figures de femme de Warlock, la "saloon girl" jouée par Malone et la bourgeoise jouée par Michaels : elle joue une femme qui est à la fois vénale et avide de respectabilité, et elle lui met quant à elle le grappin dessus pour de bon...
Warlock était un peu en avance pour l’époque (les années cinquante) car un des sous-thèmes est une relation d’amour entre les personnages masculins principaux, une relation montrée presque sans fard.
C'est celle de l’adjoint, joué avec finesse par Anthony Quinn (quel acteur courageux !) envers son ami et leader joué par Henri Fonda. Ce dernier finit par le tuer mais il a ensuite une crise de rage violente dont l'expression est obscure : c’est une diatribe qui défend sa mémoire et qui est dirigée contre les notables de la ville qui les ont tous deux embauchés. Puis il quitte la ville avec mépris, en montrant aussi son absence de ressentiment envers le jeune shérif : il jette dans la poussière ses fameux colts d’or, lesquels terrifiaient la populace. (Ce départ de grande classe a sans doute magnifié le statut de star icônique et distinguée qui était déjà celui de Henry Fonda dans le public américain et mondial). Mais pourquoi abandonne-t-il le terrain conquis ? Part-il parce qu’il sait qu’il n’a plus sa place dans une ville revenue à la Loi et l’Ordre de l'Etat ? Ou bien parce qu’il s’était fourvoyé dans une romance avec une femme alors qu’il a tué l’homme qu’il aimait d'amour ? On ne sait, et Dmytrik est maitre dans l’utilisation du cinéma comme un variateur de l'ambiguïté de ses personnages.
Appaloosa est un western moins mélodramatique que Warlock dans sa vision de l'Ouest, plus sec, même si le rapport des hommes à la loi, celui des régulateurs, des outlaws, des notables et des braves gens (qu'on voit très peu) est assez semblable.
Des péripéties varient d'un film à l'autre, ce qui est heureux pour nous, et Ed Harris nous gratifie de quelques moments d'action - ou de retenue de l'action - excellents.
Au moment du final, Appaloosa prend une autre direction psychologique que Warlock.
Le rapport entre les deux hommes (le régulateur joué par Ed Harris et son adjoint joué par Vigo Mortensen) est d'une autre subtilité que celui entre Henry Fonda et Anthony Quinn. Tout du long, sont plutôt semblables dans les deux films les expressions de l’affection, de la protection, du respect mutuel que s’accordent les deux hommes, et aussi celles de la jalousie et de l’humiliation, même si dans Appaloosa, elles ne chargent pas autant la dimension de l’homosexualité.
Les deux fins aussi sont éloquentes sur les interactions qui se brouillent entre les deux hommes. Mais les fins sont différentes.
Dans Warlock, le leader, qui neutralise son adjoint maléfique jusqu'à finir par le tuer, a le dernier mot sur tous.
Dans Appaloosa, le climax est l'inversion de la position de dignité des personnages. Elle passe du leader charismatique prétendument invincible (mais qui devient mouton devant sa femme) au modeste adjoint loyal (qui n’est pas dupe de la fausse respectabilité de la femme choisie par son chef).
C'est donc l’adjoint, le subalterne, qui quittera la ville la tête haute, sans ressentiment mais avec une pointe d’ironie envers son ancien boss, et ce renversement inattendu et réjouissant crée une vraie différence de contenu entre les deux films.