Journal filmé commençant lors de la victoire de la coalition de la droite menée par Silvio Berlusconi en 1994 et se clôturant en 1997 après la victoire la gauche en avril 1996, Aprile est une comédie, où l'on rit de cet éternel figure d’intellectuel névrosé qu’incarne Nanni depuis son premier film en 1974, Je suis un autarcique. Aprile, c’est l’histoire d’un double évènement : à la fois l’évènement de la victoire de la gauche dans une Italie gouvernée par Berlusconi depuis deux ans, mais aussi l’évènement personnel de la naissance du fils de Nanni, survenant simultanément, comme s’ils étaient dépendant l’un de l’autre.
Aprile, parle de l’attente permanente de ces deux évènements : est-ce que la gauche arrivera au pouvoir ? Et mon enfant sera-t-il un être suffisamment apte à évoluer dans ce monde ? Et une fois l’évènement manifesté aux yeux de tous et vécue, une fois qu’il relève d’un fait passé, que faire ? C’est ici la force de Moretti : montrer l’événement politique comme une expérience commune, vécue de tous, mais aussi intime et personnelle. Aprile donne à voir cette trépignassion, ce doute, l’excitation dans l’attente, comme autant d’éléments qui sont la condition de l’événement politique, comme Barbara Stiegler le pense dans son essai Du Cap au grève, récit du mobilisation : «l’évènement, c’est-à dire le déferlement de perception et de sentiments inouïs qui nous obligent à réviser nos catégories et à inventer de nouveaux concepts.»
Mais s’il est possible de rassembler cette double naissance dans un évènement commun l’évènement politique est en réalité multiple dans Aprile : des évènements politiques rapportés de manière documentaire, ceux de la manifestation des parapluies à Milan, celui de l’indépendance de la « Padania » en septembre 1996, ou ceux de l’ordre de la fiction pure, que Nanni essaye tant bien que mal de mettre en scène dans un film dans le film, la fiction musicale d’un pâtissier trotskiste dans les années 50.
Cette mosaïque d’évènements que Nanni tente en permanence de saisir dans une névrose qui lui est propre est montrée comme une quête veine et infinie, absurde, qui l’engloutie littéralement, à l’image du plan le plus marquant du film : ce patchwork d’images et d’articles, qui submergent l’écran et le personnage de Nanni, pour former un grand et unique journal.
Comment s’engager politiquement, comment se saisir de l’évènement politique, ou même plus simplement du fait politique, quand celui-ci est scruté, traqué, puis asphyxié dans un flot d’articles, d’images et de propos ? Comment l’évènement politique peut-il advenir si celui-ci ne fait qu’apparaitre, et n’a pas le temps d’être vécu ? Aprile est cette quête d’une manière nouvelle de faire politique : submergé par le bruit médiatique et le jeux politique entre les parties, Nanni propose une manière nouvelle de s’engager, comme un état permanent, dont le cinéma permet transcrire la temporalité nouvelle.
C’est justement cette dernière image, de Nanni sur sa vespa, calculant sur un mètre le nombre d’année qui lui reste devant lui, le brandissant comme un trophée, qui résume parfaitement cette réflexion sur la temporalité de comment faire politique et de plus simplement s’engager dans l’existence :
Se libérer du temps quotidien, de la temporalité sociale, pour expérimenter son propre temps intérieur, évènement en soi et pour soi, une simple ballade en vespa dans les rues ensoleillée de Rome en été, où tout peut se réaliser.
Aprile, c’est une fête, un film qui me réjouit, parce qu’il invite tout le monde à trouver son propre temps, le propre tempo de son mambo intérieur.