Je dois confesser que jusqu’à mes quatorze ou quinze ans, Michael Bay était un sacré gage de divertissement : visionnages intensifs des Bad Boy, fascination pour la bataille de Pearl Harbor, sympathie non feinte à l’égard de Transformers... et plus en arrière, un souvenir très marqué d’Armageddon. Intimement, ce modèle d’intrigue sur fond d’extinction imminente de l’humanité me remuait au plus haut point, telle la révélation de notre « insignifiance » relative à l’échelle du cosmos : au moyen d’une menace à l’envergure incommensurable, la brièveté de notre existence et, surtout, de sa valeur nullement absolue me sautaient sans coup férir au visage.
Aussi, il convient de féliciter Bay pour cette mise en abime pleine de justesse, preuve en est d’un film catastrophe aucunement assujetti à de basses considérations sensationnelles. Maintenant, pardonnez la gratuité de ce sarcasme, car par-delà mes états d’âme enfantins, cela tombe sous le sens qu’Armageddon s’en tient plus de deux heures durant à une débauche de pyrotechnie : saupoudrée d’une sacrée verve patriotique, le long-métrage vise davantage à imprégner la rétine de ses moyens considérables (la bagatelle de 140 millions de dollars en guise de budget) plutôt que d’explorer, comme a pu le faire Sunshine (cette comparaison m’en coûte), l’impact d’une tel désastre sur « l’humain ».
D’autant plus que cet argumentaire visuel accuse deux écueils évidents : d’abord très convenu, l’esthétisme global du long-métrage s’en tient dans les grandes largeurs à une peinture peu inspirée de son background spatial, son envergure tonitruante à grand renfort d’explosions l’emportant sur tout semblant d’originalité. Secondement, son classicisme clairement orienté « blockbuster » offre si peu en termes de propositions que le passage du temps n’en est que plus évident : pour une production « seulement » âgée de vingt ans aujourd’hui, on frise le cheap, chose d’autant plus patente que la teneur nanarde de ses nombreuses scènes d’action alourdit le tout.
Sans surprise dans la droite lignée d’une empreinte formelle pataude, le fond oscille pour sa part entre divertissement écervelé et grands airs de nanard refoulé, les pérégrinations improbables de Stamper et cie revêtant une gravité a priori assumée : quelques ressorts majeurs fonctionnent en ce sens, tel le climax sacrificiel et iconique de vous-savez-qui (ma sensibilité aidant) qui vient parachever l’écriture (simple mais) efficace des figures principales, mais l’ensemble souffre trop d’un humour désamorçant toute ébauche d’atmosphère crispante. Sur courant alternatif, ses prétentions dramatiques s’avèrent ainsi très limitées au sein d’un récit faisant la part belle aux répliques légères, une démarche certes légitime sur le papier (à l’échelle d’Armageddon) mais faisant trop d’ombre au peu de sérieux à l’œuvre.
Finalement, le plus dérangeant relève certainement de ce fameux discours patriotique, empreint d’une bonne grosse couche de ferveur religieuse et autres clichés représentatifs : en bon spectateur français, la vision de Paris prête ainsi à sourire (grandement de dépit), mais ce sont bien les nombreuses facilités au service de la gloire nord-américaine qui font le plus tiquer, quand bien même Armageddon ferait l’effort de nous faire voyager aux quatre coins du globe… ou de mentionner la participation désuète de tel ou tel État dans l’opération. Il convient d’ailleurs de rendre hommage au rôle de Peter Stormare, stéréotype le plus archétypal qui soit du cosmonaute russe, à plus forte raison que le film insiste lourdement sur l’invraisemblance folle du personnage : pourtant, la galerie américaine (Steve Buscemi) n'est pas en reste.
Autrement, Armageddon bénéficie des bienfaits d’un casting des plus solides, fruit d’une sympathie non feinte du spectateur à l’égard des tauliers que sont Willis, Thornton ou encore Duncan (et les interprètes précédemment cités) ; même le couple Affleck / Tyler, pourtant nominé chez les Razzie Awards, s’en tire plutôt bien. Sa distribution constitue en somme un point fort compensant, de son mieux, les errements d’un récit pas très malin, mais là n’était pas son intention : il subsiste donc un blockbuster pétri de grandiloquences en tous genres, heureusement corrélées à une ambiance résolument divertissante.