Laurent Cantet signe un film entre thriller et fable inspiré de l’affaire Medhi Meklat. Le résultat est tendu, efficace mais aurait pu percuter davantage si le spectateur n’était pas autant tenu à distance. Le film manque peut-être d’un parti pris.
Karim D. est un jeune écrivain, "issu de la diversité", publie son premier roman avec beaucoup de succès. Mais qui est ce Karim D. ? Le nouveau jeune écrivain dont les médias ne se lassent pas ? Ou son pseudonyme, Arthur Rambo, l'auteur de vieux messages haineux qui sont déterrés, un jour, des réseaux sociaux ?
Laurent Cantet s’inspire de l’affaire Medhi Meklat. Rappelons que Medhi Meklat figure médiatique touche-à-tout connaissait en 2017 une déchéance à la suite de l’écriture de tweets racistes, antisémites, islamophobes, homophobes ou misogynes publiés entre 2011 et 2015 sous le pseudonyme de « Marcelin Deschamps ». Le film est une retranscription de cette affaire. Cantet filme la déchéance de cette coqueluche médiatique. Idolâtrée par les médias, il coche toutes les cases : issu de la diversité, des banlieues, d’un milieu social pauvre. Il est au sommet de sa gloire. Sa chute n’en sera que plus rapide, plus violente. Là aussi, il coche toutes les cases. Il fâche en quelques tweets à peu près tout le monde : les juifs, les musulmans, les femmes et plus encore. Bien sûr, ces tweets endommagent sa carrière. Sa maison d’édition le lâche, sa copine ne le comprend plus. Et sa débâcle trouve même un écho en banlieue, comme le montrent les très bonnes scènes avec son frère. Ce dernier ne lui reproche pas ses tweets, au contraire, il reproche d’avoir dénigré ses ‘idéaux’ en ayant eu du succès.
Le film m’a rappelé ‘Illusions perdues’ de Xavier Gia²nnoli qui montrait l’ascension fulgurante d’un jeune provincial dans la société parisienne de la Restauration et sa chute accélérée. La petite différence est que Cantet débute son film quand son personnage est déjà aux sommets mais comme dans ‘Illusions perdues’, le personnage est le héros et l’instigateur (malgré lui) de sa propre chute.
Ce film montre extrêmement bien la place des réseaux sociaux dans notre société. Ils sont désormais omniprésents. Les portables sont partout. Comment le cinéaste le montre-t-il ? Les tweets s’insèrent habilement et régulièrement dans l’écran. Visuellement tout d’abord, ils apparaissent à l’écran et envahissent l’image. Auditivement ensuite, les tweets sont énoncés en voix-off. Le réalisateur démontre très bien comment ces tweets peuvent broyer un destin. Certaines affaires médiatiques récentes l’ont également montré. Ainsi, de simples plans sur des téléphones deviennent de sacrés moments de suspens. Les tweets deviennent dans ce film un danger. Les tweets d’Arthur Rambo parasitent progressivement l’écran jusqu’à exploser au grand jour.
Le choix du pseudonyme est intéressant. ‘Arthur Rambo’ renvoie évidemment au célèbre poète. Ce n’est pas innocent. Les tweets sont en quelques sortes une déclinaison des vers, où s’expriment la sensibilité, les idées d’une personne (le style en moins).
Le film est peut-être un brin démonstratif. Il s’agit d’une démonstration habile, efficace mais rien de plus. Un autre élément m’a légèrement gêné. A la fin du visionnage du film, je ne savais toujours qui était ce Karim D. Est-ce un abruti qui paye le prix de sa bêtise ? Est-ce un individu haineux et si oui, l’est-il toujours ? Ou était-ce simplement un violent provocateur qui ne pensait pas ce qu’il écrivait ? Cantet ne nous donne pas le début de la queue d’un indice. Aucune clé de compréhension, et à la vue des tweets polémiques, son absence de parti pris m’a un peu mis mal à l’aise.
Dans le rôle principal, Rabah Nait Oufella est assez bon. Mais c’est surtout la courte mais lumineuse apparition de la délicate Anne Alvaro qui m’a comblé de bonheur.