Pour entrer directement dans le vif du sujet, As Bestas est un grand film. Pour plein de raisons. Son sujet, ses acteurs, sa photo, son esthétique, ses paysages, ses personnages, son ambiance.
Commençons par son sujet, déjà rien que ça mérite d'être souligné. Perso j'avais jamais vu ça traité ailleurs : la question de l'implantation des bobos dans des territoires reculés on en entend souvent parler (et perso je m'y suis reconnu) mais on le voit jamais au ciné. C'est chose faite. Mais ça va bien plus loin que ça, déjà Sorogoyen ne traite pas la question de manière frontale mais il amène la chose subtilement avec ces éoliennes qui viennent mettre le feu aux poudres. Et la ou le film fait fort c'est qu'il nous place du point de vue du couple Menochet/Foïs - qui sont innnncroyables tous les deux, Foïs qui se détache de son personnage habituel pour camper cette femme d'une force et d'un courage extrêmes, et qui aime d'un amour sublime Menochet, lui aussi au sommet - bref la ou le film fait fort c'est qu'il explique aussi de manière très honnête le point de vue des deux frères, et comment ne pas le comprendre, comment ne pas l'entendre. Dans la scène pour moi la plus forte du film, un long plan fixe de plusieurs minutes au bar, dans laquelle Antoine et Xan échangent autour de leur différend, Xan dit "je vois pas pourquoi ta voix compte autant que la mienne". Tout est dit. Et on comprend que le conflit est irresolvable à l'amiable. D'ailleurs l'acteur espagnol de Xan est absolument divin aussi, glacant de froideur et de violence sourde, criant de vérité, sous le constant regard de son frère, très juste lui aussi.
Bref le sujet, la manière de le traiter et ses personnages confèrent à As Bestas une profondeur et une atmosphere pesante durant toute sa durée. Même au début, lorsque tout va bien, on est déjà dedans, presque glacé, cramponné à son siège. Et la BO y est pour beaucoup. Sorogoyen fait tout dans ce film qui est une lecon de mise en scène : de longues scènes de dialogue fortes et brutes sans cut, ou bien simplement un paysage et un regard qui disent tout.
Et ces paysages comment ne pas en parler. L'esthétique du film et le regard qu'il porte sur le village déserté et ses visages sont sublimes. Les plans de rêve, dans lequel l'homme et la nature ne font plus qu'un sous le soleil pour former un magnifique tableau, côtoient les scènes nocturnes glaçantes ou l'on observe le couplet impuissant face à la violence humaine.
Petit bémol : je n'ai pas du tout été séduit par la jeune actrice qui joue la fille du couple, notamment lors de ses accès de colère, alors que Marina Foïs, elle, est parfaite en mère, perdue mais aimante, qui sait ce qu'elle veut.
Bref, As Bestas est un grand film de 2022.
9/10