Les tentatives d'inspiration de Vertigo sont indéniablement vouées à l'échec. On ne mime pas le classique d'Hitchcock sur la base de sa structure policière ou sur son mécanisme du double. De simples attractions du samedi soir ou des oeuvres d'auteurs en pâmoison devant le monument du Maître subissent la lourde comparaison du syndrome du mannequin de cire mis en scène sur une estrade. Final Analysis de Phil Joanou est une tendre mascarade. Le dernier Park Chan-Wook, Decision to leave, tente une (belle) variation autour de la femme entêtante. Mais Vertigo n'est pas le Septième Art, Vertigo est le Cinéma. Nuance de taille qui impose la fascination de l'image mentale et de la réflexion de l'image cinéma. L'une façonnée artistiquement par l'oeil du cinéaste, l'autre en perpétuelle mouvement dans l'esprit qui n'est perçue par le spectateur que par le jeu du comédien. La fabrication pure de la main de l'artiste précèdant le fantasme. Lorsque Scottie (James Stewart) tombe amoureux de Madeleine (Kim Novak), il l'idéalise. Nous sommes dans sa réalité, emprisonnée par les bords du cadre. Lors du décès de Madeleine, l'image manquante idéalisée (une forme de hors champ) prend le relais. Se créer alors une boucle, celle de la fiction englobant sa part de vérité ou...de mensonge. Le retour à la réalité s'articule de la même manière qu'un collégien amoureux de sa voisine de classe la redécouvrant vingt ans plus tard. La déception entraine une clarté de la situation. Scottie n'est pas attaché au double de Madeleine mais simplement à l'idée de l'Amour qu'il s'en était fait. Un pur produit de son imagination amorcé par une femme jouant un rôle. Rien n'est concret au travers de ses yeux. Vertigo est un idéal de Cinéma, celui de l'illusion ou du tour de magie.
Lorsque Asako entre en contact avec Vertigo, on devine par avance que le genre en sera gommé. C'est un étalage d'arguments à vocation purement social qui, introspectivement, déconstruit le classique d'Hitchcock comme aucun autre film ne l'a fait auparavant. Ne pas céder à la fascination du fantastique, ni à cette ritournelle entêtante imposée par le score de Bernard Herrmann. Asako est la représentation de notre monde réel. Celui que n'importe quel quidam peut voir au travers de sa fenêtre. Et pourtant l'essence de l'oeuvre du Maître y réside. Lorsque Asako (Erika Karata) rencontre son grand amour Baku (Masahiro Higashide) dans une galerie d'Art, les futurs amants se trouvent après avoir observés une succession de photos. Et si l'on parle de clichés et non pas de peinture comme dans Vertigo, c'est pour définir l'approche profondément réaliste du film de Ryusuke Hamagushi. Il s'ensuit l'identique rapport amoureux entretenu par Scottie/Asako envers Madeleine/Baku et ce durant un laps de temps très court afin de faire naître le grand brasier passionnel. Puis vint l'abandon, la frustration et l'éclosion du fantasme. Le point de non retour atteint, Asako peut nourrir sans fin le produit de son obsession. Elle reste, d'ailleurs, extrêmement discrète sur sa souffrance n'en parlant que très peu à son entourage. Survint le choc : La pièce manquante du puzzle mental se trouve devant elle. Un cadre d'entreprise possède les mêmes traits que Baku. Asako effleure son visage de sa main alors qu'elle ne le connait pas. L'image fantasmatique prend corps dans une enveloppe de chair. Mais Ryōhey n'est pas Baku. Il est un gendre idéal, affable et pas une énigme prête à se téléporter sans fin. Un substitut de choix, certes, mais pour combien de temps ? Si le sentiment amoureux n'est qu'une illusion, peut-il reposer sur un personnage concret qui ne se dérobe pas à la moindre occasion ?
Lorsque Ryõhey comprend qu'il n'est qu'un remplaçant idéal, les évènements prennent une nouvelle tournure. Le réalisateur a pris soin d'enrichir le mythe Baku. La chimère revient sur la scène publicitaire auréolée de gloire et d'une certaine popularité auprès de la gente féminine. Le fantôme des pensées n'était pas tangible, il en devient proprement inaccessible de par son nouveau statut. La publicité et l'idée qu'elle transmet d'élever la beauté (Baku est devenu mannequin) par le truchement de la communication (spots, magazines) prolonge de manière contemporaine le fantasme imaginé par Hitchcock. L'image figée ou en mouvement de couleur ou en noir et blanc, sempiternelle source d'informations alimentent le regret de ne pas avoir su en profiter lorsque l'occasion s'en présentait. Le souhait d'Asako est de revoir cet homme afin de vivre cet Amour auquel elle n'a pas eu droit. À moins que ce ne soit la possibilité d'y mettre définitivement un terme...
Un peu comme Scottie, Asako aura sa réponse :
Un retour à la réalité et symboliquement la conclusion d'un film qui susurre que le fantasme n'est qu'une oasis de nos profonds désirs.