Dès les premières séquences du documentaire Ascension réalisé par Jessica Kingdon, on sent que ce voyage au pays de l'American dream chinois va être on ne peut plus délectable. Il suffit de pas grand-chose pour être entièrement convaincu : un bon sujet, un sens de l'esthétique, de bons placements de caméra, une science du montage efficace, et bien sûr tout le talent nécessaire pour articuler ces différents éléments. En guise d'introduction, on voit comment des entreprises comme Foxconn et Huawei recrutent de manière particulièrement agressive en vantant les mérites des emplois proposés : on travaille assis, les dortoirs ont l'air conditionné, avec promesse de bons repas chauds. Le paradis du travailleur à la chaîne, en d'autres termes, nous dit-on.
Le docu est structuré en trois grandes parties, en remontant l'échelle sociale chinoise : on commence par les travailleurs les plus précaires, pour ensuite remonter à travers la classe moyenne formatée d'une façon très différente et enfin accéder à l'élite nationale. La ligne directrice de Kingdon est très claire en faisant de l'ascension sociale la colonne vertébrale de son film, en montrant à quel point on martèle le même discours de réussite et comment on assure que la reconnaissance et la fortune souriront à ceux qui travailleront comme des acharnés. Le parallèle avec le formatage très similaire de l'autre côté du Pacifique est croustillant.
Ainsi, le premier gros tiers du film est dévolu aux usines dans lesquelles s'entassent les employés dans des tâches éminemment répétitives. Grande surprise, si on retrouve le schéma classique du travail à la chaîne dans un univers aliénant (attention, c'est à faire vomir à la simple vue d'un bout de plastique, au milieu de tous ces bouchons, bouteilles et vaporisateurs), un passage particulièrement éloquent et comique s'attache à décrire le travail de femmes occupées aux finitions sur des poupées sexuelles. Moment génial quand on les voit écarter les jambes desdites poupées pour leur faire le maillot au ciseau ou lorsqu'elles cautérisent un bout de plastique perdu en-dessous d'immenses nichons. L'humour de Jessica Kingdon n'a d'égal que son sens du cadrage.
En plus de cela, on se balade au milieu d'un camp d'entraînement où des employés en costume militaire écoutent un discours martial, applaudissent machinalement dans une ambiance surréaliste, pendant que d'autres s'entraînent à recevoir des coups au torse jusqu'à ce que des veines explosent. Gare à celui qui n'exécute pas correctement le geste indiqué. Il y a aussi le pendant féminin, tout aussi hypnotisant et sidérant, avec une session de formation d'hôtesses expliquant le nombre de dents à montrer (les 8 du haut en l'occurrence) pour sourire correctement au travail, l'angle de rotation acceptable de la tête pour signifier un accord poli mais pas trop, ou encore comment écarter les bras et à quelle distance en vue d'une accolade avec un inconnu. Quoi qu'il arrive, il faut paraître obéissant même lorsqu'un client fortuné se permet les pires humiliations. Fascinant. Et puis il y a la classe aisée, beaucoup moins représentée ici, mais qui semble friande de gastronomie française et de clochette pour appeler le majordome.
On retrouve le même espoir d'élévation sociale chez les uns et le même désir de conformité déférente chez les autres que ce qu'on a déjà vu dans la description du système néolibéral du côté occidental. "No pain, no gain" semble être la morale partagée : bosse et sois heureux en résumé, avec d'un côté des bouteilles en plastique produites par millions et de l'autre des ouvrières programmant des machines pour coudre des produits qui arborent "Make America Great Again". Le rêves d'un grand PDG chinois : exploiter le potentiel de la Chine qui peut atteindre une consommation équivalente à 5 fois celle des États-Unis. Sacré cauchemar.
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