Le cinéaste tunisien Youssef Chebbi propose une relecture du polar, écrivant avec François Michel-Allegrini une petite intrigue policière sur une étrange série d'immolations d'ouvriers et de jeunes filles dans les quartiers en construction de Tunis dans un contexte postrévolutionnaire. Les enquêteurs découvrent que ces immolations sont consentantes, dues à la manipulation des victime par un seul et même individu pour des raisons obscures, fanatiques semble-t-il.

En arabe, Ashkal est le pluriel de forme, de motif. On s'aperçoit vite que Youssef Chebbi est moins intéressé par son intrigue que par l'esthétisme à tirer de ce décors de constructions modernes mêlés à des chantiers à l'abandon, où l'aisance côtoie la misère et où déambule la silhouette menaçante du meurtrier pyromane, figure inhumaine du mal qui ronge cette société, et dont on ne verra jamais le visage, sa monstruosité ne nous étant montrée que par portrait robot.

Ce parti pris formel est à la fois le point fort et la faiblesse de l'entreprise, car si il est très agréable de s'accorder de longues pauses dans la narration pour contempler des plans fixes très aérés, très composés, cherchant à capter la beauté squelettique des immeubles en chantier, le cinéaste au prétexte d'envolées poétiques cède à une forme de fascination plastique édifiante qui diminue la portée du propos et donne l'impression que le film décolle pour n'aller nulle part (ce qui n'est pas aidé par l'omniprésence de la musique). La belle idée d'une impuissance plus où moins lucide des flics face au suicide progressif de la société qu'ils gardent se trouve amoindrie par une mise en scène mêlant difficilement sublimation et crudité pamphlétaire.

Le final somme toute discutable n'établie pas moins un aveu audacieux des intentions sulfureuses de l'auteur, ainsi qu'une auto mise en boîte inattendue du brûlot politique, sacrifiant toujours à une forme offensive et mordante la complexité du fond.

Tout cela est très inabouti, mais d'une originalité qui vaut le détour.

grisbi54
6
Écrit par

Créée

le 30 janv. 2023

Critique lue 55 fois

1 j'aime

grisbi54

Écrit par

Critique lue 55 fois

1

D'autres avis sur Ashkal - L'enquête de Tunis

Ashkal - L'enquête de Tunis
Freddy-Klein
8

Critique de Ashkal - L'enquête de Tunis par Freddy Klein

Là-bas comme ici, la plupart des politiques, en tout cas ceux qui font de la politique leur activité professionnelle, à défaut d'en faire leur profession de foi et de porter les espoirs de leurs...

le 6 mars 2023

8 j'aime

Ashkal - L'enquête de Tunis
Pout
7

Feu !

Ambiance froide, froide comme un été qui a passé son tour dans le bal des saisons. Une ambiance froide comme un acte manqué, un été qui ne passera plus, peut-être plus jamais. Restent debout, des...

Par

le 3 févr. 2023

7 j'aime

2

Ashkal - L'enquête de Tunis
AMCHI
6

Critique de Ashkal - L'enquête de Tunis par AMCHI

Un polar tunisien avec une dose de social prononcée avec sa critique sur la société tunisienne 10 ans après le printemps arabe qui avait chassé du pouvoir Ben Ali. 2 policiers, une femme et un homme,...

le 19 sept. 2023

4 j'aime

5

Du même critique

Un monde
grisbi54
5

Un peu brouillon

Avec Un monde, Laura Wandel n'a pas l'air de vraiment savoir sur quel pied danser. Je peux comprendre que beaucoup de gens aient apprécié, parce que la réalisatrice joue à fond la carte de ...

le 2 févr. 2022

16 j'aime

Youssef Salem a du succès
grisbi54
6

Fais pas ci fais pas ça

Le tandem Michel Leclerc - Baya Kasmi (ici derrière la caméra) continue à exploiter son filon comique consistant à traiter avec légèreté le climat politique contemporain. Si le film est drôle à...

le 23 janv. 2023

7 j'aime

L'Envol
grisbi54
8

La pudeur est une grâce enfantine

Avec cette troisième fiction, le cinéaste italien Pietro Marcello franchi une nouvelle étape dans sa trajectoire artistique. Bella e perduta constituait déjà, avec une approche documentaire et une...

le 21 janv. 2023

5 j'aime