Le cinéaste tunisien Youssef Chebbi propose une relecture du polar, écrivant avec François Michel-Allegrini une petite intrigue policière sur une étrange série d'immolations d'ouvriers et de jeunes filles dans les quartiers en construction de Tunis dans un contexte postrévolutionnaire. Les enquêteurs découvrent que ces immolations sont consentantes, dues à la manipulation des victime par un seul et même individu pour des raisons obscures, fanatiques semble-t-il.
En arabe, Ashkal est le pluriel de forme, de motif. On s'aperçoit vite que Youssef Chebbi est moins intéressé par son intrigue que par l'esthétisme à tirer de ce décors de constructions modernes mêlés à des chantiers à l'abandon, où l'aisance côtoie la misère et où déambule la silhouette menaçante du meurtrier pyromane, figure inhumaine du mal qui ronge cette société, et dont on ne verra jamais le visage, sa monstruosité ne nous étant montrée que par portrait robot.
Ce parti pris formel est à la fois le point fort et la faiblesse de l'entreprise, car si il est très agréable de s'accorder de longues pauses dans la narration pour contempler des plans fixes très aérés, très composés, cherchant à capter la beauté squelettique des immeubles en chantier, le cinéaste au prétexte d'envolées poétiques cède à une forme de fascination plastique édifiante qui diminue la portée du propos et donne l'impression que le film décolle pour n'aller nulle part (ce qui n'est pas aidé par l'omniprésence de la musique). La belle idée d'une impuissance plus où moins lucide des flics face au suicide progressif de la société qu'ils gardent se trouve amoindrie par une mise en scène mêlant difficilement sublimation et crudité pamphlétaire.
Le final somme toute discutable n'établie pas moins un aveu audacieux des intentions sulfureuses de l'auteur, ainsi qu'une auto mise en boîte inattendue du brûlot politique, sacrifiant toujours à une forme offensive et mordante la complexité du fond.
Tout cela est très inabouti, mais d'une originalité qui vaut le détour.