L’alchimie d’un film est toujours assez complexe à définir. On peut y voir d’évidents défauts, déceler par moment l’intention d’un réalisateur à vouloir se démarquer, s’interroger sur le pourquoi de la chose pour finalement se laisser charmer, puis séduire, au point de sortir de la salle avec une impression d’avoir vécu un beau et étrange moment, de ressentir même une certaine frustration de devoir quitter ces personnages trop tôt, tentant déjà de leur inventer des instants d’après. Cette sensation de joie intérieure était identique avec le premier film de Benchetrit « Janis et John ».
Par son approche fantasque d’une réalité que l’on souhaite occulter, « Asphalte » est un film très binaire, bien imaginé et extrêmement délicat. S’inspirant de ses « Chroniques de l’Asphalte », Benchetrit croise trois récits, autour d’un quartier défavorisé et plus précisément dans un immeuble vétuste, de type H.LM des années 60, le genre de construction dont tous les Maires de France souhaiteraient voir la disparition, encore faudrait-il qu’ils s’en donnent pleinement les moyens. Ici, on oublie « Bench » le héros autobiographique du roman, mais l’ambiance est toute aussi douce et amère, cependant plus irrationnelle et poétique. C’est d’ailleurs ce qui fait tout l’attrait du film. Là on l’on pouvait s’attendre à une énième vision sociale d’une zone sensible et de ses habitants, Benchetrit choisit de se focaliser sur la solitude urbaine, et d’offrir à ses personnages de brefs instants de trêve et de rêve et dont la vie ne sera plus tout à fait la même ensuite . Il en va ainsi de Charly (Jules Benchetrit possède un vrai charisme) l’adolescent livré à lui-même, fasciné par la nouvelle voisine, actrice has been (Isabelle Huppert touchante de retenue). De Sternkowitz (Kervern kervernise…) qui dans son malheur rencontrera une infirmière un peu larguée (impeccable Valérie Bruni Tedeschi) ou encore de Madame Hamida (Tassadit Mandi ô combien touchante) qui hébergera un astronaute tombé du ciel (Michael Pitt très en forme !).
C’est donc l’isolement qui se trouve au cœur du récit, chaque protagoniste semble contraint dans son existence, en attente d’un meilleur à court ou long terme, le cœur ouvert à toute forme d’amour même éphémère. Alors tout devient possible, crédible, au point d’accepter de voir tomber du ciel un cosmonaute par exemple. Benchetrit joue sur de ces nombreux contrastes qu’il accentue visuellement, notamment l’immeuble sous forme de prison avec ses gardiens, ses portes qui claquent à la vie, son aspect froid et métallique.
Si cette poésie de l’image ne tient qu’à un fil mince, elle est pourtant suffisamment aboutie et convainc. Benchetrit ne s’embarque pas d’effets compliqués, un beau format noir et blanc aurait d’ailleurs renforcé cette atmosphère si particulière comme pour « J’ai toujours rêvé d’être un gangster » (dont l’approche narrative est assez similaire). Sa mise en scène est très ascétique, tout comme le décor de ce morceau de ville fantomatique. L’intérêt est ailleurs, il repose sur les personnages attachants, de ceux que l’on ne voit pas ou plus, tous assez symptomatiques d’une époque morose.
Voilà une bien jolie fable sociale, originale et douce, un peu de miel dans un paysage cinématographique français trop souvent maussade.