La scène d'ouverture est hilarante et pourtant ce film m'a fait pleurer.
Comme souvent pour les oeuvres qui me renversent, Asphalte est à la croisée des genres : à la fois excellente comédie aux situations désopilantes jouées avec un naturel désarmant et fable moderne sur la solitude qui masque mal le manque d'amour et le besoin d'être ensemble.
Ce film est aussi une très émouvante déclaration d'amour au cinéma, autant qu'une métaphore très soignée de cet art. Enfin, il est important de garder en tête que Samuel Benchetrit, le réalisateur, fait jouer son propre fils, Jules, dans son film, enfant qui n'est autre que celui qui est né de ses amours avec la regrettée Marie Trintignant. Savoir cela apporte une densité émotionnelle supplémentaire à la scène de l'audition filmée d'Isabelle Huppert et à cette voix d'une mère à son fils :
Garde de moi l'amour, garde de moi la tendresse, garde de moi la femme, garde de moi ta mère.
Je réécoute la scène pendant que j'écris et les larmes coulent toutes seules car je ne peux que ressentir le message que Samuel a voulu faire passer à Jules par le truchement de la voix d'Isabelle... Je trouve cela proprement bouleversant et magnifique.
Mais ne restons pas dans les larmes, l'actualité nous fournit suffisamment de raisons de désespérer comme ça. D'autant que ce film est, je crois, avant tout un hymne à la tendresse et une comédie irrésistible qui nous installe auprès de quelques habitants d'un immeuble grisâtre. On pourrait croire au départ à une peinture sociale un tantinet grinçante, mais il n'en est rien.
Avec l'appui d'une très belle photographie et d'une bande-son délicate (composée par Raphäel), Benchetrit nous propose de suivre le quotidien pas si quotidien d'âmes un peu esseulées en quête de compagnie. Il y a Sterkowitz (l'attendrissant ours Kervern), un locataire bourru épris d'une infirmière de nuit (la touchante Valeria Bruni-Tedeschi) qui nous réserve les plus cocasses instants de comédie avec son fauteuil roulant et son ascenseur interdit d'accès et capricieux ; il y a Jeanne Meyer (Huppert, impeccable comme toujours), actrice sur le retour qui va se lier avec son jeune voisin de palier, Charly (Jules Benchetrit, si magnétique et beau, qui m'a physiquement évoqué Ezra Miller) et dont les rapprochements sont à la fois bouleversants et drôles; et enfin, last but not least, il y a Mme Hamida, qui va héberger quelques jours un astronaute américain (joué par Michael Pitt), atterri par accident sur le toit de l'immeuble (scène géniale).
On suit en parallèle tout ce petit monde, ces duos qui ne se croisent jamais, mais qui nous réservent des saynètes diablement réussies, originales, à la fois émouvantes et cocasses : le couscous partagé et le tupperware dans l'hélico, les chansons de chacun en anglais et en arabe, Kervern et ses fausses photos de stars, le maillot Intersport de l'astronaute, le parloir où Madjid prend sa mère pour une folle... Tout, tout, tout - j'ai tout aimé, tout embrassé dans ce film. Oh, on pourra bien me rétorquer que c'est un peu angélique, un peu idyllique, un peu trop magique : eh bien, tant pis, ça fait un bien fou, je les prends, moi la consolation et la beauté qui s'offrent.
Enfin, j'aime quand le cinéma parle de lui dans ses films, j'aime quand on me montre un écran, une caméra, un appareil photo, cette vitre entre deux êtres qui permet toutes les confessions, toutes les inventions, tous les masques mais surtout toutes les vérités. Ce n'est pas pour rien si le si timoré Kervern parvient à parler derrière son appareil photo, qu'il réussit enfin à exprimer ses sentiments véritables pour l'infirmière : l'art est une thérapie, qui permet de s'ouvrir à l'autre, d'ouvrir des portes, de faire naître des ponts.
Bref, vous l'aurez compris : foncez le voir si ce n'est pas encore fait, ce film est une véritable pépite.
Pas tous les jours qu'une comédie se teinte de drame et d'émotion avec tant de lumière, d'humour et de justesse.