Premier plan, première crainte: un immeuble de banlieue quasi à l’abandon, un ciel gris, un format étriqué.
Zut, on va plonger dans un film de société et de banlieue “morose et pas rose” (pour citer d’illustres inconnus).
Et puis vient cette scène de discussion des copropriétaires pour décider des travaux de l'ascenseur, et là ça fait mouche en 2 minutes: la misère qu’on sent partout n’est pas larmoyante, elle est charmante et donne des décors et costumes délicieusement vieillots. L’humour et la tendresse transparaissent dans des scènes pourtant très simples comme celle d’un gars resté seul dans un salon, réduit à observer la décoration douteuse et le vélo d’appartement. Ce n’est rien mais ce regard de Gustav Kervern est magnifique, et cette scène m’a fait immédiatement aimer le reste.
Le film continue sa route dans la même veine, même si à chaque nouvelle étape on craint de ne pas retrouver la force de cette entrée fracassante, qu’on est souvent à la limite du très bien et du bien lourd, et qu’on se demande sans arrêt où on va atterrir. Benchetrit nous étonne par à coups, distillant des perles de temps à autre qui viennent nous faire oublier les petits passages à vide pendant lesquels on se demande où il veut en venir.
De trois histoires de rencontres hors normes, il fait un film plein de poésie, d’un peu d’extravagance, et de beaucoup d’humanité.
Il explique vouloir donner de la cité un autre regard parce qu’on oublie les cités, c’est louable, mais en même temps il nous avoue que le lieu de tournage est un immeuble détruit depuis. Comme quoi les cités ne sont sans doute toujours pas des paradis mais on ne peut pas dire non plus que rien n’est fait pour les gens qui y vivent: beaucoup de villes, surtout en province se sont lancées dans de grands programmes de résidentialisation, revitalisation, réhabilitation, et autres noms en -tions pour rendre les espaces plus agréables, et parfois avec réussite (ça n’enlève pas forcément les problèmes des gens qui y vivent).
Alors oui le film m’a plu, j’ai aimé surtout pour ce qu’il dit des gens, de la façon dont on a tendance à s’enfermer un peu vite dans nos petits malheurs, de la solitude, de la capacité soudaine à dépasser les barrières, et de certaines rencontres qui viennent éclairer nos vies sans prévenir, et peut être de manière éphémère.
Grandeurs et petites déchéances quotidiennes, teintées d’un brin d’extraordinaire pour rendre le film plus léger.
Pour la partie “présenter les cités autrement”, je veux bien croire à la bonne volonté du réalisateur, à sa connaissance du terrain il y a quelques années, mais ce n’est pas ce que je vois dans le film, ce n’est pas ce que j’en retiendrais.
Des défauts il y en a sans doute, mais moi quand on me sert sur un plateau des contes modernes mettant en scène des personnages hors normes, incarnés par des acteurs au poil (même quand ils jouent presque faux c’est comme si ça s’ajoutait à l’aspect “bricolage” de l’ensemble et ça se noie dans le tout), des décors fouillés (j’aime quand il y a toujours des détails à remarquer: des appareils dépassés (un walkman!!!!), des tags à lire sur les murs, des intérieurs à imaginer parce qu’on ne voit pas tout mais qu’on peut faire jouer son imagination), de mini-gags et de l’émotion, j’achète (surtout si c’est offert!)..
Il y a beaucoup d’amour dans cet Asphalte, et ça fait du bien de suivre ce genre de fable, surtout quand la première image laissait penser le contraire.
Ça fait du bien aussi de ne pas avoir su ce qu’on allait voir, et de découvrir sur le vif cette délicieuse plongée, de se laisser porter par le courant et sans attente particulière.(Et là pour le coup je suis sûre que les conditions de visionnages m’ont poussée à être sans doute plus généreuse, mais le principal c’est d’avoir passé un bon moment!)
Un film qui plaira aux gens qui aiment les astronautes, les vélos d’appartement, le couscous, les ascenseurs, amour gloire et beauté, Isabelle Huppert, Meryl streep, et plein d’autres petits détails.