Samuel Benchetrit avec son cinquième long-métrage, Asphalte, décide d’adapter son propre roman, Les Chroniques de l’Asphalte. Pour le réalisateur il s’agit, avec son nouveau film, de dégager une autre image des banlieue où il a grandi, de dénicher l’humanité derrière la grisaille du béton. Asphalte c’est avant tout l’histoire d’un milieu, la banlieue et ses barres d’immeubles qui enferment les gens les uns sur les autres pour mieux les séparer, les laisser en proie à la solitude. Benchetrit utilise un format carré pour rendre compte au spectateur de cet espace étriqué, paradoxe où proximité n’est pas synonyme de partage. Les personnages de Benchetrit, hantés par la perte et l’absence, force l’étroitesse du cadre pour trouver une nouvelle intimité dans cet espace si serré. Ce découpage en carré de l’image donne aussi l’impression d’une bande-dessiné, de glisser d’une case à une autre, d’autant que les plans sont surtout fixes, essentiellement basés sur des raccords dans l’axe pour isoler ou rassembler les personnages.
Asphalte est surtout marqué par la figure de la mère qu’elle soit absente (la mère de Charly), morte et laissant un vide trop lourd à porter (Sternkowitz) ou bien encore abandonné par son fils (Madame Hamida). Benchetrit offre une vraie réflexion sur comment on peut passer outre l’absence et la disparition avec en point d’orgue le monologue du personnage d'Isabelle Huppert sur la pièce Néron. Sublime. Enfin l’absence c’est aussi le manque de merveilleux, de poésie, coulée sous l’asphalte de la cité. Comment faire fleurir de nouveau la poésie du quotidien ? A la manière d’un Jacques Tati, Benchetrit évoque cette poésie à travers des situations et des objets qui, si l'on n’y prête pas attention n’ont rien à offrir. Par exemple, le mystérieux bruit qui parcourt les trois histoires et qui est comme un fil fantomatique les unissant. Comme dans Mon Oncle, Benchetrit nous dit que ce n’est pas le milieu qui doit forcément nous définir mais l’état d’esprit qu’on peut libérer des contraintes formelles. Néanmoins, le film est aussi parsemé d’humour et de situation burlesque ou ironique (l’ascenseur et Sternkowitz, le premier appel de la NASA à Mc Kenzie) qui est d’autant plus efficace qu’il est fin, apportant une légèreté évitant au film un ton misérable.
Pour finir Asphalte à la chance de compter sur une pléiade de comédiens très justes, très sensibles. Que ce soit Tassadit Mandi qui joue une Madame Hamida maternelle à souhait, pleine de bonnes intentions. Gustave Kervern joue Sternkowitz, personnage lunaire ou encore Isabelle Huppert toujours aussi formidable qui livre une de ces prestations dont elle seule a le secret (l’enregistrement de Néron). La musique est, quant à elle, très simple et douce, et est composée par Raphael. Elle sait se faire aussi discrète que marquante, soulignant l’humanité des personnages. En conclusion Asphalte est une histoire sur l’humanité cachée derrière les immeubles, c’est une oeuvre très belle qui offre un nouveau regard sur la banlieue trop souvent réduite à quelques clichés. Le béton est, sous la caméra de Benchetrit, définitivement fait de poésie et d’humanité.