Après l’injuste échec de Warcraft dirigé par Duncan Jones, 2016 promettait une seconde ambitieuse adaptation cinématographique d’une célèbre licence vidéoludique : Assassin’s Creed, sous la caméra de Justin Kurzel. Le lourd bagage douloureux que traîne ce sous-genre cinématographique depuis des décennies se répète-t-il à nouveau ?
N’y allons pas par quatre chemins, quoi qu’en dise à nouveau le score Rotten Tomatoes (les utilisateurs ont-ils oublié qu’Assassin’s Creed n’est pas un film DC ?) Assassin’s Creed est un film réussi et une adaptation de bien bonne facture, le produit phare d’Ubisoft possédant dores et déjà une forte identité de mise en scène proche du septième art dans son approche, facilitant la transposition d’un média à l’autre.
Fort de son travail d’orfèvre sur son adaptation époustouflante de Macbeth en 2015, avec la même équipe que pour les Assassins, Kurzel, épaulé par Michael Fassbender à la production, dépeint une rupture quasiment obligatoire de son cinéma d’auteur vers le divertissement. Pourtant, là où l’on aurait pu craindre une perte d’identité du cinéaste et une aseptisation de son traitement de l’image afin de polir et lisser le film pour qu’il rentre dans les standards du blockbuster habituel, la réassurance est au rendez-vous : non, Justin Kurzel n’a pas troqué son empreinte particulière même pour un long-métrage plus tourné vers le grand public, à l’instar de Gareth Edwards sur Rogue One: A Star Wars Story.
Assassin’s Creed peut être appréhendé comme une espèce d’OVNI hybride tiraillé entre le huis-clos clinique, froid et la fresque historique poussiéreuse où l’idée d’une rupture visuelle dans les codes instaurés par le film est bienvenue. Image épurée, propre, à l’image des locaux d’Abstergo pour les actions contemporaines et une photographie clair-obscur aux tons sépia accordant un aspect rugueux et ancien à l’image, presque poétique dans son drame sanglant, encore une fois dans la droite lignée de Macbeth. La particularité d’Assassin’s Creed et un de ses principaux atouts reste, clairement, l’utilisation de décors réels et reconstitués, de la présence de nombreux figurants à l’écran malgré une utilisation abusive en post-production de poussière et de sable afin d’accentuer l’apparence crasseuse de la sombre époque de l’Inquisition Espagnole, ce qui empêche de rendre justice aux paysage sans y soupçonner quelque retouche numérique alors que le film précédent de Kurzel imposait sa photographie des paysages écossais comme les plus beaux depuis Braveheart.
Les codes de la licence sont présents et distillés avec une certaine habilité ; de l’origine arabe du crédo des Assassins à l’arsenal abracadabrant des protagonistes, les chorégraphies en free-running ou en combat, le rythme endiablé presque rock’n’roll des affrontements à la limite de l’anachronisme amenant un savoureux décalage propre à l’essence de la saga, tout y est en plus de quelques easter-eggs bien sentis lors du troisième acte. Le long-métrage n’est pas avare en instants de bravoure, où le personnage de Cal/Aguilar (Michael Fassbender) est malmené de manière très cartoonesque jusqu’aux instants iconiques et épiques, en témoigne le second saut de la foi avec un Fassbender en posture magistrale et cette folle et brutale course-poursuite en chariots dans la poussière directement inspirée du Mad Max: Fury Road de George Miller autant dans sa conception, son exécution et son habit sonore.
Vêtu de haute couture par un habillage sonore percutant signé Jed Kurzel, qui remet le couvert comme sur Macbeth, la composition musicale complète à merveille l’image et dégage un sentiment aussi dramatique que nostalgique, jouant principalement sur les cordes, les cuivres et les percussions avec un feeling vieillot, sensitif qui sent le vieux bois et la pierre ancienne, qui m’a rappelé ponctuellement le travail de Taku Iwasaki sur Rurouni Kenshin: Tsuioku-Hen. Par quelques ponctuations, surtout quand la composition s’emballe pour les instants intenses du métrage, on y décèle des pics de guitare saturée sur le modèle de Junkie XL ou Jesper Kyd, qui renforce le respect pour le matériau originel d’Assassin’s Creed tant les compositions pour les premiers jeux étaient très attachées à cette fusion décalée d’ancien et de moderne, propre à ce qu’incarne cette histoire jouant sur les deux tableaux du temps. Sans peur, Jed Kurzel signe un thème mémorable et une des meilleures BO de l’année, ce qui est assez important pour être souligné alors que les thèmes pour les films de cette ampleur et ce genre sont de plus en plus anecdotiques. Irréprochable.
L’écriture de l’histoire reste simple, principalement dirigée à l’attention des fans de la licence et c’est peut-être là que l’on pourrait y toucher certaines faiblesses. Il va de soi qu’en faisant ce choix, Assassin’s Creed ne s’ouvre pas à un public plus large que ses propres habitués mais en était-ce l’ambition première ? Je ne pense pas. On pourra vociférer avec les éternels « on ne comprend rien ! » … et tant pis. Le film de Kurzel choisit de viser sa niche et de garder ses codes intacts plutôt que l’ouverture vers le profane, et c’est sûrement ce qui sauve l’intégrité de cette adaptation tout comme ce qui l’a sûrement condamné aux yeux de beaucoup. Un film doit-il impérativement avoir la volonté de s’adresser à tous, surtout dans l’exercice aussi compliqué que l’adaptation d’un matériau existant qui a déjà fédéré un public à sa cause ? Je vous laisse le soin de cette réflexion puisqu’en tant qu’adepte j’y ai eu ce que je désirais, si ce n’est même plus.
Le scénario va de son point A à son point B avec facilité, malgré ses complications alambiquées obligatoires quand on s’appelle Assassin’s Creed, mais évite ainsi l’indigestion d’informations à coucher dehors et surtout esquive les pièges des incohérences faisant que l’on arrive en conclusion sans zone d’ombre ou presque, suffisamment pour avoir de quoi remplier sur une suite.
Un autre point où Assassin’s Creed sait faire plaisir c’est dans son casting impeccable et dirigé avec finesse qui conjugue têtes d’affiches vendeuses (Michael Fassbender, Jeremy Irons, Marion Cotillard) et visages dépaysants dans un film du genre (Denis Ménochet, Brendan Gleeson, la ravissante Ariane Labed et ce monstre de charisme qu’est Charlotte Rampling). Parenthèse : Oui, Marion Cotillard est convaincante avec une mention toute particulière sur le dernier acte où son personnage, Sofia, se ferme avec froideur et détermination. Sa bavure avec The Dark Knight Rises est désormais bien derrière, ce fut déjà prouvé à maintes reprises.
En bref, Assassin’s Creed avait la lourde tâche de s’inscrire dans sa propre continuité de licence et d’être un reboot dans le même temps pour le grand écran. Mission accomplie pour l’équipe de Justin Kurzel qui offre un divertissement relativement inédit, une réinvention de la fresque historique entre respect des traditions et modernité et réussit là où de nombreux autres se seraient plantés. A la croisée des chemins de Da Vinci Code et Mad Max: Fury Road, Assassin’s Creed est un divertissement de qualité qui ne renie jamais les intentions d’auteur de son metteur en scène grâce à une photographie singulière, une composition musicale marquante, des partis pris surprenants et appréciables pour un produit final qui possède un souffle neuf en tant que film d’action. Premier essai réussi pour Michael Fassbender sous l’emblématique capuche de la Confrérie. Un spectacle poussiéreux, sanglant et rock, aussi honorable que novateur.