On peut distinguer trois périodes de faste chez Disney : d'abord, celle qui va des années 1940 aux années 1960, de Blanche-Neige à La Belle au bois dormant, période marquée par un classicisme plus profond qu'en apparence ; puis, la « Disney renaissance » des années 1980 jusqu'au Roi Lion ; enfin, la vague entamée par La Reine des Neiges à partir de 2013, que nous connaissons encore.
Si ces trois époques ont produit des chefs d'œuvres incontestables, il reste que les films sortis entre elles ne manquent pas d'intérêt, loin de là. À côté des ratages complets du type La ferme se rebelle, on peut noter tout un tas d'œuvres oubliées, mais dignes d'une redécouverte, en dépit des défauts bien réels qui causèrent leur perte jadis.
Atlantide, l'empire perdu, est la plus grande d'entre elles.
Sorti au moment où Disney traverse un temps de vaches maigres après les demi-échecs de Hercules, Kuzco et Dinosaure, Atlantide entend explorer un schéma réservé jusqu'ici aux films en images réelles, à savoir le film d'aventure grand public, sorte d'Indiana Jones familial, de Vingt mille lieues sous les mers mis à jour, tout en gardant l'esprit enfantin propre aux studios de l'ami Walt. Convaincue que la formule traditionnelle a vécu, la souris totalitaire se décide à renouveler son style… mais pas trop.
C'est sans doute là qu'il faut chercher et trouver la principale faiblesse de ce film, constamment tiraillé entre deux logiques différentes, à défaut d'être toujours contradictoires : le film d'aventure d'une part, le film familial « Disney » d'autre part. D'un côté, on engage Mike Magnolia pour l'animation et Joss Whedon pour un script sans chansons ni animal parlant : de l'autre, on garde des ressorts comiques (coucou La Taupe), une bonne grosse logique manichéenne et des grosses ficelles scénaristiques (une langue parlée mais dont l'écriture s'est perdue?).
Ne nous méprenons pas. Le problème n'est pas de vouloir adopter un ton plus sérieux, Disney nous a prouvé qu'il en était capable depuis le Roi Lion au plus tard. Le problème est de vouloir concilier une logique plus magique avec celle d'un film d'aventures plus terre à terre, où les éléments surnaturels sont réduits au strict minimum (principalement le Cristal atlante, et encore, pourrait-on lui trouver une explication pseudo-scientifique), ainsi que de vouloir mettre ensemble une épopée digne des conquistadores avec des blagues de pet et d'urine (heureusement bien rares).
Le manichéisme bien « disneyien » est aussi de la partie, avec un antagoniste un brin décevant dans ses motivations (contrairement à ce que l'on peut lire ça et là, découvrir un monde inconnu n'assure pas forcément la richesse, voyez le sort de Hernan Cortès par exemple), mais plus encore dans la présentation de celles-ci. De soi, l'appât du gain peut donner lieu à des méchants de qualité s'il est correctement exploité. Rien de tel ici. Tout au plus Milo suggère-t-il que ses découvertes pourraient profiter au Kaiser. Il y avait là une belle occasion manquée :
Pourquoi ne pas avoir fait de Rourke un agent allemand, voulant assurer la victoire de son Empire (le film ayant lieu en 1914) ? Ou même, soyons fous, un agent américain, chargé de trouver une arme capable d'assurer la prééminence des USA sur les nations européennes ? Pourquoi enfin ne pas avoir joué la carte de E.P. Jacobs, en donnant le mauvais rôle à un atlante belliqueux, ne rêvant que conquêtes militaires ?
On notera au passage que la découverte surprise de l'antagoniste inaugure une longue série de « Twist vilains », comme le disent les anglo-saxons, aussi fades les uns que les autres.
Pour en finir avec les défauts, le film est beaucoup trop court. Une heure et demie, c'est trop bref pour pareille intrigue, de sorte que le film prend trop rarement son temps. À mon sens, deux heures aurait été un minimum pour permettre l'épanouissement de ce beau bébé.
Car oui, en dépit de tout ce que nous avons vu plus haut, il reste qu'Atlantide est un bien beau bébé, bourré de qualités extraordinaires, d'une créativité folle et d'une esthétique très originale.
Certains s'extasieront sur la civilisation atlante, ses créatures, sa langue (composée exprès pour le film) et surtout, ses appareils de combat. D'autres se concentreront plutôt sur le patte Steampunk (ou Rétrofuturiste façon Jules Verne) visible dans les divers équipements de l'expédition : sous-marin, avions, camions, foreuse, uniformes, etc. Dans les deux cas, une vraie merveille.
Il faut aussi noter des personnages originaux, inespérés de la part du studio. Si certains servent plus de ressorts comiques, comme on l'a dit, aucun n'en devient insupportable. La scène de la conversation entre Milo, Joshua Sweet, Mme. Placard, Audrey, Enzo et compagnie est une de ces scènes inattendues dans ce genre de film où les personnages parlent d'eux-mêmes, se présentent, semblent perdre du temps pour mieux s'attacher les spectateurs en montrant leur humanité. Il est dommage que les antagonistes n'aient pas droit à pareil égard. On notera aussi une forte présence féminine (quatre personnages importants), dont l'intérêt ne repose pas exclusivement (ni même principalement) sur la beauté physique.
Pourrait-on se risquer à analyser ce film ? Si oui, on pourrait peut-être y lire en filigrane le passage d'un XIXe siècle encore utopique, basé sur la découverte et l'exploration à un XXe siècle cynique, où l'argent a force de loi et où les armes seules comptent (plus encore si l'on se souvient que l'action se situe au début d'une guerre européenne fratricide devenue mondiale).
Par ailleurs, le fait que Rourke soit un Américain blanc, contrairement à l'essentiel des experts de sa troupe (pour beaucoup étrangers ou relevant d'une minorité ethnique américaine) est une clé de lecture possible, quoiqu'elle répugne à ceux qui ont le courage de se refuser à tout lire à travers un prisme racial.
Et que de scènes d'anthologie ! L'ouverture aux proportions bibliques, la plongée du sous-marin, le Léviathan, le voyage, la découverte de l'Atlantide, la bataille aérienne, le cataclysme final, le plan-séquence de clôture… sont autant de moments propres à faire émerveiller un enfant pendant des années, et à le faire rêver bien plus tard encore. Si le film manque un brin de poésie (tout le monde ne s'appelle pas Miyasaki), il ne manque ni de verve, ni d'énergie, ni de souffle épique.
Porté par des dialogues au petits oignons fort bien rendus par une impeccable VF (« Dans la famille casse-pied, je voudrais le petit-fils ; bonne pioche ! »), l'influence des grands auteurs de science-fiction du XIXe siècle, le talent d'une brochette d'artistes incroyables et une bande-originale magistrale (le thème continue à me filer des frissons), Atlantide, l'empire perdu est un film bourré de défauts, une œuvre bancale et maladroite, mais aussi une magnifique tentative de renouveler un cinéma disneyin en perte de vitesse, un divertissement généreux et épique, aussi attachant que sincère dans son premier degré dépourvu de cynisme (sauf celui, superficiel, de Mme. Placard), un OCNI (Objet Cinématographique Non-Identifié) unique en son genre dans l'histoire de Disney, voire peut-être dans celle du cinéma d'animation. Pas un chef d'œuvre, sans doute, mais un grand film. Et le Disney favori de votre serviteur.