Dakar, de nos jours : Ada et Souleiman sont amoureux, mais Ada est promise à Omar.
Souleiman est ouvrier, et son patron un riche homme d’affaires qui se dispense volontiers de
rémunérer sa main-d’œuvre. Souleiman et ses confrères embarquent alors à bord d’une
pirogue pour tenter de rejoindre l’Europe, dans l’espoir de trouver un travail et une vie
meilleure. Alors qu’Ada est rongée par le chagrin, son mariage avec Omar a lieu sous des
cieux hostiles, et un incendie ravage la chambre de noces. Un enquêteur brillant est sur le
coup, mais rapidement une mystérieuse maladie frappe le quartier et le policier.
Atlantique s’impose comme une fable politique et poétique à mi-chemin entre le
fantastique et le documentaire. La simplicité qui se dégage a priori du film permet de
dépeindre avec puissance, au détour d’une phrase ou d’un plan, nombre d'enjeux auxquels est
confrontée la jeunesse sénégalaise.
La réalisatrice - qui signe ici son premier long-métrage - s’attache à retranscrire les
contrastes qui habitent la ville de Dakar, qu’on devine reflets du Sénégal et plus largement
d’un grand nombre de métropoles en développement. Contraste d’architectures avec les
immeubles ultra-modernes qui toisent la misère des bidonvilles, contrastes entre le monde des
hommes et celui des femmes, entre le mode de vie de ces dernières et le poids des traditions
auxquelles elles doivent se plier. Sont aussi interrogées les frontières entre la mer et la terre, la
vie et la mort, le réel et la souvenance, la justice et la corruption.
La puissance du film réside dans sa photographie époustouflante : les plans sublimes -
parfois contemplatifs - portent et rythment le film, il s’en dégage une ambiance singulière et
enivrante. Un plan sur le déchaînement de la mer pour signifier la mort, un plan sur les
rouleaux qui éclatent sur le sable pour figurer le déchirement des femmes à qui l’on arrache
un frère, un fils, ou un mari. La mer est presque un personnage : elle ravit son amant à Ada, et
semble détenir des réponses dont la jeune femme aurait besoin. Des plans éloquents sur son
visage entrent en résonance avec les motifs de l’eau qui se meut. Mama Sané (Ada) livre une
performance touchante et juste avec un jeu tout en finesse.
Cependant, les plans insufflent au film une certaine lenteur et un caractère
expérimental qui peuvent tenir à distance. On pourrait également reprocher au film son
manque de lisibilité qui peut créer une incompréhension chez le spectateur. A force d’osciller
entre genres et problématiques différentes, on finit par s’y perdre.
Néanmoins l’intrication entre fantastique et politique reste un parti pris réussi, et le tragique
de l’amour déchu des deux amants ajoute de l’universalité à ce manifeste. SPOILER
ALERT: La dimension fantastique du film réside dans une sorte de zombification des jeunes
filles du quartier, possédées par les esprits des garçons morts en mer. Cette zombification est
une manière métaphorique de donner une mémoire, un support, un corps, à ces jeunes dont la
mer emporte sans pitié les corps et les rêves dans les profondeurs et dans l'oubli. C'est une
manière de leur rendre leur identité, qu’ils ne soient pas d’autres morts parmi une multitude
de migrants. Cela les rend même immortels : ils ne mourront jamais puisqu’ils habiteront
toujours l’esprit des femmes d’une façon ou d’une autre.
Et puis, les femmes zombies vont réclamer leur argent au patron des garçons, montrant une
vengeance des jeunes contre la corruption et les visages qui l’incarnent. Cela passe aussi par
le fait de posséder la police corrompue, qui s'occupe plus d'épargner ses collaborateurs que de
faire appliquer la loi. Loi qui aurait dû permettre aux travailleurs de toucher leur paie en
temps voulu, et donc d’éviter la mort.
En bref, Atlantique se distingue par sa photographie époustouflante, un jeu nuancé, et
par son intrigue qui mêle fantastique et politique avec brio, faisant un portrait à la fois
politique et émouvant de la jeunesse sénégalaise. Le film comporte néanmois des faiblesses :
une certaine lenteur et un côté indécis qui tend à se disperser dans divers genres et
problématiques, perdant ainsi en lisibilité et en exhaustivité.