Impossible de parler de ce téléfilm sans évoquer le roman de Jean Dutourd, peintre au vitriol des "souffrances" multiples d'une brave famille de crémiers à Paris pendant l'Occupation et même après-guerre. D'ailleurs le vrai titre du livre c'est "Au bon beurre ou dix ans de la vie d'un crémier".
Et d'abord, je citerai la phrase de François Mauriac en quatrième page de l'édition folio :
"Certains critiques m'avaient détourné de lire "Au bon beurre", laissant entendre qu'il existait, entre Jean Dutourd et le couple immonde qu'il a peint, une obscure connivence. Or, à mesure que ces jours-ci, j'avançais dans le livre, j'éprouvais un sentiment de délivrance : enfin, me disais-je, tout de même, cela aura été dit."
Le film de Molinaro, qui s'étale sur 180 minutes, reprend l'essentiel du livre et en constitue une belle et crédible devanture. Il faut dire que le choix des acteurs pour jouer ce "couple immonde" est d'une rare efficacité. Roger Hanin et Andrea Ferreol. Pas un pour racheter l'autre dans l'ignominie. Et les deux forment un couple de gens très respectables, capables de survivre à toute époque et à toute épreuve.
Alors que le roman développe deux axes à peu près équilibrés, l'un autour de la crémerie et l'autre autour d'un jeune homme évadé d'un camp de prisonnier, fils d'une cliente de la crémerie, le film me semble donner un poids un peu plus important au crémier. Ce qui au demeurant n'est pas si important.
Ce qui est bien rendu dans le film, c'est la capacité d'adaptation aux contraintes du crémier. Maréchaliste convaincu (la scène – mythique - de la visite au Maréchal …), il va glisser progressivement vers l'autre côté (après quelques scènes bien vomitives et pas du tout drôles). Le pire, c'est que ça marche, ça passe et qu'il trompe bien tout son monde. Le pire du pire, c'est que je reste persuadé qu'il y a un large front de vérité.
C'est un film à ne pas regarder si vous avez l'estomac très barbouillé sauf à en profiter pour faire le ménage (par le haut). Du reste, c'est peut-être le moyen d'éviter, dans le cas d'un estomac toujours barbouillé, de plonger deux doigts au fond de la gorge, c'est selon.
En bref, c'est le fameux fils de la cliente de la crémerie (l'ancien prisonnier évadé), devenu un petit prof agrégé mais bêtement honnête, qui conclut le film en se promettant bien qu'il fera de son futur fils, un crémier…