On avait laissé Ron Howard fêter avec Chris Hemsworth le titre de champion du monde de Formule 1 dans un Rush incroyable et épique. Les voilà qui remettent ça, troquant la voiture de course contre le baleinier, la combinaison de pilote contre le costume de capitaine en second.
Au Coeur de l'Océan mettait l'accent, dans sa bande annonce, sur l'aspect aventure et grand spectacle tiré de l'affrontement entre le cachalot et l'homme qui voisine l'infiniment petit. Le contrat est ici rempli, tant les deux tiers du film sont nourris d'une réalisation ample et luxueuse, alignant les épisodes épiques de pêche à la baleine en forme de ride, haletants et incroyables, et une tempête impressionnante. L'affrontement avec le monstre marin, lui, laissera le spectateur sur le cul, tant l'Essex semble balayé sans effort par le cétacé. Effets spéciaux maîtrisés et superbes, plans magnifiques, Ron Howard rassasie au delà de ce que j'attendais question spectacle. Dommage seulement que le dernier tiers se transforme en film de naufragés et de survie qui, s'il fait la part belle à la lente folie qui gagne les marins, ralentit quelque peu le rythme qu'il imprimait jusqu'ici à son aventure qui aurait donné naissance à Moby Dick.
Si le coeur du film est constitué par ce duel, permettant de soulever la question sur la place de l'homme sur la Terre et son influence sur la nature, Au Coeur de l'Océan est aussi l'occasion pour Ron Howard de développer d'autres axes afin de nourrir sa narration. Le fil rouge de l'intrigue fera ainsi évoluer Herman Melville, face au dernier rescapé taciturne et torturé de cette funeste campagne de pêche. Entouré de bateaux en bouteille, mâts couchés, dans une nuit d'alcool éclairée à la seule bougie, ce dernier libèrera sa conscience, alourdie par des actes indicibles, auprès d'un écrivain hésitant en quête d'inspiration et de renouvellement de son oeuvre.
Mais Ron Howard met aussi à profit sa spectaculaire odyssée pour livrer, en creux, une peinture de l'Amérique des années 1820 en pleine expansion économique, occasion pour le réalisateur de porter à l'écran sa ville portuaire, tout aussi tentaculaire qu'incontrôlable, dont les cheminées crachent d'interminables colonnes d'une fumée noire et âcre. Economie reine, exploitation dérégulée de l'or ambré... Tout cela permet aussi une légère étude de la société, de la puissance des familles installées et détenant les cordons de la bourse, dénigrant le fils de la terre qui s'est fait une petite place dans leur ombre.
Cette lutte des classes est toute entière contenue dans l'affrontement entre le frais nouveau capitaine de l'Essex, fils de la bonne famille des armateurs, et son second, expérimenté mais atteignant malgré tout un plafond de verre indépassable. C'est ce duel entre fleurets mouchetés et crises d'autorités qui tiendra le gouvernail de l'Essex pour le mener vers sa perte, tant par l'inflexibilité que par le côté jusqu'au boutiste de chacun des protagonistes.
C'est cette variété qui fera toute la richesse d'Au Coeur l'Océan, bien plus que l'huile de baleine, bientôt abandonnée au profit d'une étrange huile noire suintant de la terre. Mais ne vous en faîtes pas pour l'économie, elle lui trouvera bien une quelconque utilité, et surtout, une bonne valeur marchande.
Behind_the_Mask, qui fait des bulles dans son bain.