Evoquer l'enfance malheureuse, jusqu'à lui dédier le film, donne des responsabilités. Julien Duvivier filme des jeunes filles détenues dans une maison de correction. Et le premier constat qui s'impose, hélas, c'est que ces demoiselles, délinquantes, criminelles ou cas sociaux, ne sont pas réalistes. Il ne suffit pas de leur prêter un langage rude ou argotique, de l'insolence, pour restituer l'existence sordide qu'on leur imagine ou que Duvivier suggère. Les adolescentes du film ne sont visiblement pas marquées par la vie ni par les conditions de détention; elles présentent le plus souvent un visage angélique (et maquillé) qui ne renvoie à aucune souffrance, ni vice, ni perversité.


Certes, on verra que le cinéaste, éclectique, ne revendique pas d'être dans le réalisme pur et dur. Son "roman cinématographique", pour reprendre ses termes, est édulcoré, volontairement ou pas. La dernière partie du film, lorsque Duvivier filme le village sous des inondations qui redoublent d'intensité, nous ne sommes pas davantage dans le réalisme. La submersion est comme le symbole de la colère de Dieu, qui fait écho au titre du film, ou bien celui des turpitudes humaines qui entrainent la jeunesse et desquelles il lui faut s'échapper, par l'amour probablement.

Le réalisateur donne dans la noirceur, qui est au coeur de son cinéma, et dans une dramatisation entre métaphores et théâtralité. Le style et l'esprit sont singuliers mais ils ont vieilli. Et je pense qu'il commet l'erreur de créer ce rôle de directrice tortionnaire, une vieille fille névrosée et méchante, tout juste nommée (dans une scène initiale assez grossière) et qui est comme une double peine pour des jeunes filles déjà accablées par la vie.

Duvivier dénonce les mauvais traitements et l'absence d'humanité de l'institution; mais, ce faisant, il s'éloigne du problème et de la cause plus fondamentaux que sont la misère sociale et humaine, qu'on ne perçoit jamais dans ce film...sauf chez la directrice.

inspecteurmorvandieu
5

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Julien Duvivier

Créée

le 26 févr. 2025

Critique lue 6 fois

Critique lue 6 fois

D'autres avis sur Au royaume des cieux

Au royaume des cieux
YgorParizel
8

Critique de Au royaume des cieux par Ygor Parizel

Il y a quelque chose de Victor Hugo dans ce film de Julien Duvivier. Le scénario se centre sur une adolescente enfermée (une Fantine extatique et amoureuse) dans une maison de correction mais...

le 22 juil. 2020

2 j'aime

Au royaume des cieux
Caine78
7

Critique de Au royaume des cieux par Caine78

Ah, Julien Duvivier : il a beau être inégal, souvent de belles choses sont à retenir. « Au royaume des cieux » ne fait pas exception : les scènes de groupe sont très réussies, la sensibilité du...

le 5 mai 2018

2 j'aime

Au royaume des cieux
JanosValuska
6

Bande de filles.

Le film se déroule dans une maison de redressement pour jeunes femmes. Maria y entre pour un larcin mais ne vit que pour ses retrouvailles futures avec Pierre, l’amour de sa vie, qui, elle en est...

le 22 mai 2020

1 j'aime

Du même critique

Le Nom de la rose
inspecteurmorvandieu
10

Critique de Le Nom de la rose par inspecteurmorvandieu

Associée aux rigueurs des moeurs monastiques, l'intrigue de ce qu'on peut appeler polar médiéval et religieux n'en est que plus étrange et saisissante. Le réalisme avec lequel Jean-Jacques Annaud...

le 22 oct. 2024

2 j'aime

Marie-Chantal contre le docteur Kha
inspecteurmorvandieu
3

Critique de Marie-Chantal contre le docteur Kha par inspecteurmorvandieu

Claude Chabrol tourne une parodie d'espionnage avec la désinvolture qu'il met habituellement à la réalisation de ses films de commande. De fait, les aventures de Marie-Chantal, quoiqu'on y trouve...

le 20 oct. 2024

2 j'aime

Nana
inspecteurmorvandieu
3

Critique de Nana par inspecteurmorvandieu

Nana se confond avec Martine Carol dans ce film bien éloigné des préoccupations historico-sociales, "naturalistes", de Zola. On ne trouvera dans le film de Christian-Jaque aucun réalisme, social ou...

le 20 oct. 2024

2 j'aime

1