Pourquoi AU SERVICE SECRET DE SA MAJESTÉ est l'autre meilleur "James Bond" ?

Parce qu'il est unique à plus d'un titre.

Par l'interprète de Bond, déjà ; c'est évident. Mais pas que (un "James Bond" ne se réduit pas à son acteur principal). Aussi par la manière dont le film a été pensé et conçu.


Lorsque sont sortis Opération Tonnerre et On ne vit que 2 fois, Sean Connery était une méga star internationale. Et lorsqu'on allait voir ces films, on allait y voir Sean-James-Connery-Bond dans de grands films d'aventure et d'action qui en mettent plein les yeux. Qui était la star ? Bond ou Connery ? Connery ou Bond ? On s'en moquait bien finalement. Pour le public, c'était à peu près la même chose (l'affiche du dernier film le disait : Sean Connery IS James Bond). Et on comprend d'ailleurs du même coup que l'acteur vampirisé ait décidé de raccrocher. Si bien que lorsque George Lazenby, illustre inconnu, a repris le rôle juste derrière, il a évidemment déçu car il lui était impossible d'avoir une aura équivalente. Il se fit donc laminer, comme s'il avait été responsable du départ de Connery pour lui prendre sa place.


Lorsqu'on regarde Au service secret de Sa Majesté, on voit cette fois en James Bond un type normal et non plus une icône quasi-parfaite. Puis on se dit que, après avoir vu les aventures du célèbre espion racontées par Hollywood depuis cinq films, on découvre maintenant l'histoire plus réaliste de l'espion tel qu'il est. Humain et faillible, sans esbroufe ni gadgets. Le "vrai" James Bond en quelque sorte, moins remarquable (c'est mieux pour un espion), ressemblant à un monsieur tout le monde plutôt aisé.

Le film est aussi unique par sa structure. Il ne commence pas comme d'habitude avec un prégénérique ayant peu de rapport avec l'histoire principale. Au contraire, contexte oblige, on nous y présente le nouvel interprète et sa future nouvelle partenaire, ainsi qu'une splendide bagarre en bord de mer à contre-jour. Peter Hunt, le nouveau réalisateur, était chef-monteur des cinq films précédents*, et ça se voit. Puis le générique arrive, magnifiquement illustré par l'incontournable Maurice Binder et la géniale musique de John Barry qui signe la plus belle B.O. de sa carrière.

Et au lieu de lancer traditionnellement l'intrigue dès la fin du générique, on retrouve Bond qui fait connaissance avec Tracy (Diana Rigg) et l'univers de son père mafieux (Gabriele Ferzetti). L'intrigue est lancée très tardivement, tout le début étant consacré aux relations sentimentales de Bond qui prend le temps de vivre, dans un film qui n'a parfois rien à envier au genre romantique ("We Have All the Time in the World" par Louis Armstrong est également un gros point positif du film). C'est la première fois qu'on voit Bond si humain ; en dehors du boulot, puisqu'il est effectivement en vacances. Puis l'action reprend, Blofeld (Telly Savalas) apparaît dans les magnifiques décors de Syd Cain, dans la lignée de ceux de Ken Adam. Les grandioses paysages suisses permettent de belles prouesses à ski ou en bobsleigh. Et n'oublions pas une géniale course de stock-car lorsque Tracy réapparaît.

Et puis, le film est également unique parce que c'est le seul qui se termine mal.


Le public, qui était venu s'amuser et voir de l'action (et il y en a !) a été déçu par la fin tragique et par la trop grande place accordée aux sentiments du personnage, qu'on accuse pourtant si souvent d'être froid et phallocrate. Contrairement à ce qu'on a dit, Au service secret de Sa Majesté n'a pas été un échec. Il a juste rapporté beaucoup moins que ce qui était attendu. Et suite à une incompréhension de son agent, Lazenby n'a pas renouvelé son contrat alors qu'il aurait dû faire Les Diamants sont éternels.

Peter Hunt non plus n'a pas réalisé d'autre "James Bond", et son départ de l'équipe marque la fin d'une époque et du style des années 1960 – les meilleurs films de la série classique – que caractérisait son montage nerveux. Mais il n'empêche que pour Au service secret de Sa Majesté, il a apporté un soin particulier à la mise en scène et à la réalisation. Il n'a pas seulement tourné un film d'action et d'espionnage, il n'a pas utilisé ces deux éléments comme prétextes à tout bâcler comme c'est souvent le cas pour ce genre de films. Il a fait des choix esthétiques et artistiques qui n'ont plus jamais été faits depuis dans la série (jamais la photo n'a été aussi belle et soignée, à une époque où le Technicolor est à son apogée).

Et pour ça aussi, le film est unique.

Le temps a prouvé que Au service secret de Sa Majesté était incontournable, ne serait-ce que par les rappels qui lui ont régulièrement été faits dans les films suivants jusqu'à Mourir peut attendre.

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* : En fait, Peter Hunt était chef-monteur des quatre premiers films et superviseur du montage du cinquième, pour lequel il était aussi réalisateur de la seconde équipe.

Créée

le 26 nov. 2024

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Muffinman

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