En trois films, tout en détours et en retours, Kiarostami aura fait un portrait très intime et émouvant de ce petit coin de ruralité iranienne, autour du village de Koker, avec sa colline et son chemin en zigzag, ses paysages, ses habitants et son tremblement de terre. Trois segments qui s'emboîtent les uns dans les autres, chacun évoquant ce qui précède, trois ingrédients qui produisent une tambouille inédite et insoupçonnée permettant au réalisateur de brouiller constamment la frontière entre ce qui relève de la fiction et ce qui est propre à la réalité des environs. Ainsi, Au travers des oliviers s'attache à décrire (dans le cadre de la fiction, en ayant remplacé certains personnages par d'autres, mais pas les acteurs du film en question) le tournage de Et la vie continue qui lui-même était déjà un retour sur les traces du premier film Où est la maison de mon ami ? dans les moments qui ont suivi le tremblement de terre de 1990 dans la province du Gilan. Le dernier volet de la trilogie s'apparente ainsi, non sans un certain vertige, à un film dans le film portant sur un autre film.


Le point central de Au travers des oliviers, c'est une scène anodine en apparence de Et la vie continue dans laquelle un homme ne retrouvait pas ses chaussettes et se disputait gentiment avec sa femme. Quelques minutes, quelques années auparavant, à l'origine des cent minutes de ce film. Ici, sur le tournage de cette scène, c'est un jeune maçon nommé Hossein qui interprète l'homme, et sa partenaire jouant sa femme (dans le film dans le film) n'est autre que sa voisine Tahereh dont il est amoureux. Le cinéma qui réalise son rêve, en quelque sorte. Une séquence qui sera rejouée une dizaine de fois (au moins) et qui fera émerger une forme de vérité vraiment incroyable à partir de cette configuration parfaitement artificielle. Le concept paraît totalement alambiqué, non-naturel voire incompréhensible sur le papier, et pourtant c'est d'une limpidité incroyable à l'écran. La chronologie et les interactions entre les trois films / les trois temps tissent un univers aussi particulier que chaleureux, avec des hors-champs qui deviennent soudainement le centre du champ, avec une profusion d'échos et de têtes connues qui reviennent en grandissant. Avant, pendant, et après un tremblement de terre.


En filigrane, la société iranienne compartimentée (les analphabètes et les instruits, les riches et les pauvres, les propriétaires et les sans-abris) bien que tous les murs aient été démolis par le séisme. Certains parapets semblent immuables. Et partout, tout le temps, le jeu de la manipulation des images qui modèle la vérité avec beaucoup d'humour. Et ce dernier plan sur les oliviers, du haut de la colline, magnifique. Le film dans la vie, la vie dans le film. La mise en abyme paraît infinie.


http://je-mattarde.com/index.php?post/Au-travers-des-oliviers-de-Abbas-Kiarostami-1994

Morrinson
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top films 1994, Pépites méconnues - Films, Aux frontières du réel, Réalisateurs de choix - Abbas Kiarostami et Cinéphilie obsessionnelle — 2020

Créée

le 24 août 2020

Critique lue 332 fois

8 j'aime

Morrinson

Écrit par

Critique lue 332 fois

8

D'autres avis sur Au travers des oliviers

Au travers des oliviers
abscondita
7

« Je veux ta réponse, pas celle de ta grand-mère »

Au travers des oliviers commence sur le ton de la comédie. Un réalisateur tourne un film dans le petit village de Koker, il s’agit du film Et la vie continue. Il cherche ses acteurs dans la...

le 21 avr. 2022

10 j'aime

15

Au travers des oliviers
limma
7

Critique de Au travers des oliviers par limma

Close Up reste ma découverte du cinéaste, dans sa technique narrative mélangeant la fiction au réel mais le cinéaste est toujours percutant sur le portrait de son pays. Un coup de cœur pour l'acteur...

le 18 sept. 2021

9 j'aime

8

Au travers des oliviers
TheStalker
8

Au Travers des Caméras

3ème film d'Abbas Kiarostami que j'ai eu l'occasion de voir, et de nouveau une belle petite surprise. Toujours avec son style si particulier mis en pratique, qu'il n'est jamais aisé d'appréhender...

le 28 juin 2014

9 j'aime

Du même critique

Boyhood
Morrinson
5

Boyhood, chronique d'une désillusion

Ceci n'est pas vraiment une critique, mais je n'ai pas trouvé le bouton "Écrire la chronique d'une désillusion" sur SC. Une question me hante depuis que les lumières se sont rallumées. Comment...

le 20 juil. 2014

144 j'aime

54

Birdman
Morrinson
5

Batman, évidemment

"Birdman", le film sur cet acteur en pleine rédemption à Broadway, des années après la gloire du super-héros qu'il incarnait, n'est pas si mal. Il ose, il expérimente, il questionne, pas toujours...

le 10 janv. 2015

138 j'aime

21

Her
Morrinson
9

Her

Her est un film américain réalisé par Spike Jonze, sorti aux États-Unis en 2013 et prévu en France pour le 19 mars 2014. Plutôt que de définir cette œuvre comme une "comédie de science-fiction", je...

le 8 mars 2014

125 j'aime

11