Oubliez les reconstitutions historiques poussiéreuses : le premier long-métrage de la réalisatrice Alice Winocour est un manifeste féministe qui traite du corps et du regard. "Augustine" suit le parcours du personnage éponyme (de son arrivée à l'hôpital de la Salpêtrière en 1873 jusqu'à sa fuite), et sa relation ambigüe avec le professeur Charcot.
La première scène montre les obsessions thématiques de la réalisatrice : la place de la société, le corps et le regard. On y voit Augustine - employée chez une riche famille - servir le repas lors d'une réception bourgeoise, puis soudainement s'accrocher à la nappe et être projetée en arrière. Elle renverse tout ce qui se trouvait sur la table et, allongée sur le sol, comme possédée, est prise d'une crise spectaculaire et explicite. Les invités la regardent longuement, avant que l'un d'entre eux n'agisse en jetant sur elle de l'eau. Cette ouverture suggère l'idée que le désir d'Augustine compromet l'ordre moral voire même social des invités, à l'image de la France de la seconde moitié du XIXe siècle.
On retrouve Augustine sur le chemin d'une Salpêtrière inquiétante. Le film excelle dans la mise en place d'une atmosphère gothique, qui rappelle l'univers des soeurs Brontë, ce romantisme anglais qui tend vers le fantastique. Les plans des jardins embrumés de l'hôpital, l'image légèrement bleutée et le sur-lignage flou autour des personnages et des formes contribuent à rendre cette ambiance singulière. Les scènes d'intérieur à la Salpêtrière sont filmées de telle sorte que le spectateur ressente la tension érotique qui y règne. Tout est filmé avec sensualité : la relation qu'entretiennent Charcot (Vincent Lindon) et Augustine (Soko), mais aussi cette-dernière avec sa cousine, les échanges de regards, les silences, sans oublier les corps et plus précisément celui de l'héroïne.
Le corps dénudé d'Augustine (souvent filmé en plan rapproché) est à la fois d'une grande volupté et d'une subtile détresse. Ce corps, et par extension Augustine elle-même, devient rapidement un objet de fascination. Cette fascination qu'a Charcot pour Augustine est réciproque et crée un lien érotique entre ces deux personnages. Charcot est peu à peu envoûté par celle qui n'était au début qu'un rat de laboratoire. Il la désire, elle et son corps, elle et sa sensualité, elle et sa jeunesse. De même qu'elle désire cet homme d'âge mûr, ce brillant professeur, qui semble être son père à certains moments. L'interprétation de Soko dans ce rôle est époustouflante : tour à tour charnelle, enfantine, sauvage, insaisissable et hors-du-temps, elle trouble totalement Charcot (et le spectateur). Sa présence animale augmente la tension qu'elle produit sur lui. Par ailleurs, la notion d'animalité est fréquente dans le film (plusieurs scènes avec des cabres, une poule, le singe) et fait écho au personnage d'Augustine et à sa relation avec Charcot. Un rapport de domination s'installe entre eux. En raison de leur position respective (médecin/malade et bourgeois/servante), le professeur domine totalement sa patiente. La réalisatrice montre ainsi les rapports de classe, mais va même plus loin en présentant la domination masculine lors de la première séance pendant laquelle Augustine est hypnotisée devant une assemblée de médecins et d'hommes de la bonne société de l'époque. On y perçoit leur peur du sexe, de la jouissance féminine, et par conséquent des femmes.
Mais comme le disait Jacques Lacan : "L'hystérique est une esclave qui cherche un maître sur qui régner", et Augustine prend au fur et à mesure le contrôle sur son maître. Cette inversion des rôles et du pouvoir se voit dans la scène de sexe, lorsqu'Augustine finit par se libérer du joug de Charcot, tandis que ce-dernier en sort mal à l'aise et frustré.