... Le droit est la plus puissante des écoles de l'imagination. Jamais
poète n'a interprété la nature aussi librement qu'un juriste la
réalité.
Jean Giraudoux
S'il est loin d'être l'unique scénario adapté d'un roman, Autopsie d'un meurtre appartient en revanche à l'élite qui a su garder la vivacité de ses lettres originelles.
Ce n'est pas tant le fond que la forme qui prime pour Autopsie d'un meurtre. Où plutôt, la qualité de la forme permet au film d'avoir du fond. Le style, rien que le style, nous martèleraient les littéraires. On écrit simple, donc on pense simple, on écrit bien, on peut tout dire.
Le film est entièrement bâti sur cette idée. Les dialogues sont comme des lignes de code qui structurent la narration. Les différentes strates qui charpentent l'ensemble du film. Bien habile car Autopsie d'un Meurtre est un film procédurier. Un genre aussi vieux que le cinéma mais surtout conditionné par un ensemble de normes inhérentes à cette catégorie.
Le film va déconstruire cette méthode, admirablement. L'idée: déjouer les incontournables grâce à son propre langage.
Prenons un film de procès lambda, même si l'on suit avec intérêt le déroulement de l'intrigue, nous ne sommes jamais vraiment dupe de l'issue finale. Le camp du "bien", généralement celui mis en avant, celui qu'on suit depuis le début gagne au points à la fin. Peu importe un twist ou une révélation qui viendrait chambouler notre intuition, la mise en place des arguments, graduellement exposée aux spectateurs, est généralement assez probante pour séduire.
Autopsie d'un meurtre enfreint cette règle. Il la délite même, et ce sur près de 2h40.
Chaque prise de parole d'un personnage chasse la précédente. Les plaidoiries ont beau rivaliser de virtuosité, la vérité du film ne dure jamais plus longtemps qu'une scène. Tu pense être convaincu, l'accusation détruit ton idée. Tu doutes, la défense te redonne confiance en sa lucidité.
Un véritable match de boxe dialectique. Les coups pleuvent en masse. Faut dire que les différents protagonistes manient le Logos avec aisance. Ils bluffent, assènent mille sophismes, ils donnent l'illusion de prendre le dessus quand soudain baissent leur garde pour mieux encaisser; et enfin uppercutent dès qu'ils sentent l'autre faillir dans sa stratégie. Les objections ont beau défiler, aucun ne semble vraiment céder.
Une audience de gala. Bookmakers, tabloïds et spectateurs sont unanimes. De la péloche de haute compétition. Car si la représentation est imparable, on sent le travail minutieux en amont. Des poids lourds de l'écriture qui ont peaufiné avec exigence chaque mots pour leur donner un impact maximum. La maîtrise est au cordeau, le rythme d'une précision diabolique. Une éloquence autoritaire et imperturbable, toujours en place.
Mais il fallait évidemment du costaud dans le casting pour soutenir un texte pareil. James Stewart et ses acolytes le porte à merveille. Ils jouent toutes les nuances du monde pour gruger. Et ça fonctionne, nous sommes sans arrêts tiraillés entre l'empathie, le mépris ou la compassion. Tu es brimbalé dans toutes les directions, sans arrêts coupé dans l'élan de ton discernement.
On n'aimerait pas être à la place du jury, dont la décision ordonnera le verdict final...
Littérature, Cinéma, il ne manquait que la Musique pour compléter le tableau. Un certain, excusez du peu, Duke Ellington compose la bande originale. The Duke apparaîtra même lors d'une scène du film, au côté de James Sterwart, où ils improvisent un air de piano pour faire danser les foules...
En définitive, et pardon pour le poncif: ce que l'on sait, c'est qu'on ne sait rien. De la première à la dernière minute. Bénie soit l'ignorance.
Le philosophe Michel Onfray a dit un jour : "La justice dit le droit, elle ne dit pas le vrai ni le juste." Il faut être bien présomptueux pour déclarer pouvoir déceler ne serait-ce qu'une ébauche d'honnêteté dans Autopsie d'un meutre.
Mais au diable la conclusion, nous ne sondons ni les âmes ni les cœurs après tout.
Reste que la partie elle, elle était belle.