Les freaks Jesus, tu connais ? C’est comme si Dieu, pour se marrer, avait croisé des punks à chiens avec des curés de campagne. Jésus on t’aime, Jésus revient, mais à la guitare électrique et avec un cuir clouté (dans le cuir, les clous, pas dans les paumes). Tore, blondinet à boucles béat et maigrichon, en est un, de freak Jesus. Entre crises d’épilepsie et squat minable, le voilà accueilli dans une famille recomposée avec mère, fille et garçon sous le joug d’un beau-père libidineux et tyrannique qui va le travailler au corps et à l’âme. Les premières impressions et premières réflexions qui s’offrent à la vision du film de Katrin Gebbe ne sont pas complètement enthousiasmantes. Un peu méchantes même.
On se dit que c’est un peu flou, un peu bancal. Au début, on doute. Le scénario prend pourtant le temps d’installer une atmosphère trouble, de poser les personnages, d’observer leur intimité et les relations complexes qui se nouent entre eux, mais on doute, on fait la grimace… Et puis quelque chose s’insinue, se meut, et vient mettre à mal nos premières impressions et premières réflexions. On croit que Tore est un martyr, on croit que Benno est un monstre, mais c’est plus louche que ça, plus indécidable. On ne saura jamais vraiment les raisons qui font que Benno s’en prend à Tore, le rudoie comme si c’était normal, dans la logique des choses, à l’instar de Paul et Peter dans Funny games quand ils s’amusent à éradiquer une famille entière, par jeu. Pourquoi ? Parce que.
Parce que c’est juste un sale type, Benno, minable, dérisoire dans sa petite cruauté de beauf avachi. Un sale type comme il en existe des tonnes, partout. Et quand Tore revient vers son bourreau, on s’interroge. Cherchant à éprouver sa foi en affrontant le pire, genre passion du Christ au camping, Tore s’enferme dans une volonté quasi masochiste et une bigoterie abyssale. Crédule, crétin ou illuminé ? L’image du bondieusard exalté finit par brouiller celle du sanctifié iconique. Chaque humiliation est censée être une étape dans la dévotion, chaque souffrance une épiphanie, chaque tourment une expérience de Dieu.
On pense à Bess, la putain sacrée de Breaking the waves, dans cet amour du prochain qui dépasse le bon sens, mais jamais le pragmatisme mystique. C’est dans cette espèce d’ambiguïté psychologique que le film trouve une force qui lui faisait alors défaut. Dans ce crescendo d’affronts et de sévices, Gebbe va au bout de l’horreur sans broncher, parfois avec une pointe de facilité, et si le malaise ne prend jamais totalement, il déflagre soudain quand les femmes se révèlent, in fine, les plus barbares du lot. En trois parties nommées faisant écho à la trilogie Paradis d’Ulrich Seidl, Aux mains des hommes commence et se termine avec la tête sous l’eau, et au milieu sur la terre, ne reste que la misère pieuse et morale des hommes.