Pour son premier film, l’auteur Philippe Claudel nous avait cueilli à froid avec l’âpre et bouleversant Il y a longtemps que je t’aime. Après un détour par la comédie passé un peu inaperçu (Tous les soleils), il revient avec un drame bourgeois d’une grande élégance et particulièrement solide. Le réalisateur brille dans la caractérisation de ses personnages qu’il croque par petites touches, dévoilant comme si de rien était leurs aspérités, leurs contradictions. Evitant à tout prix le manichéisme, il révèle leurs failles alors qu’approche l’hiver de leur vie, comme l’annonce le titre du film. Il installe une mécanique précise pour décrire comment un grain de sable, en l’occurrence l’irruption du personnage de Lou, va faire voler en éclats les apparences, déterrer les secrets, faire poindre les regrets et les frustrations.
Et cela sans jamais se détourner d’une ambiance feutrée, sans avoir recours à de grands éclats de voix. La mise en scène insiste clairement sur des tons pré-hivernaux, un environnement brumeux et automnal. Claudel filme les extérieurs dans le brouillard ou sous la pluie et les intérieurs éclairés de couleurs chaudes, propices aux révélations. Car si les dialogues sonnent toujours très justes, Claudel n’en oublie pas que le cinéma est avant tout un média d’image, offrant ainsi une réalisation fouillée et subtilement symbolique (les roses qui envahissent le quotidien du couple, les reflets dans les vitres ou les miroirs)
Avant l’Hiver séduit aussi parce qu’il ne nous emmène pas forcément où on l’attend, se parant d’un certain mystère sans que l’on soit tout à fait dans le thriller. Et s’il est formidablement bien écrit, son principal atout reste la force de son interprétation. Claudel peut compter sur ce qui se fait de mieux dans le cinéma français. Daniel Auteuil et Kristin Scott Thomas sont royaux et instillent ce qu’il faut de nuances à leurs personnages, lui perdant pied après cette rencontre inattendue et pris de vertige en regardant en arrière, elle accusant le coup stoïquement, déjà consciente d’être prisonnière de sa maison de verre et de lourds secrets longtemps camouflés. (Soit dit en passant, quel dommage que l’actrice et le réalisateur soient brouillés, leur collaboration a pourtant quelque chose d’évident…. ) A leur côté on découvre avec satisfaction les fêlures du jeu de Leïla Bekhti, on apprécie la solidité de celui Richard Berry.
Philippe Claudel impose son style sans artifice, avec pudeur et modestie, raconte son histoire simplement et nous y embarque avec conviction. On est convaincus.