Scénariste précurseur de la Nouvelle Vague, Paul Gégauff a signé la plupart des premiers scripts de Chabrol (Les Cousins, Que La Bête Meure, etc.), de Rohmer (Le Signe Du Lion), de Clément (Plein Soleil) ou encore de Marquand (Les Grands Chemins). Personnalité influente malgré sa discrétion publique, il rédige Ave Maria en 1983 avant d'être assassiné de plusieurs coups de couteau par sa dernière femme, de 36 ans sa cadette, avec qui il entretenait une relation houleuse. Il avait 61 ans.
Jacques Richard, ancien assistant d'Henri Langlois à la Cinémathèque française et réalisateur qui apprécie le cinéma exigeant et hors-norme, décide la célèbre productrice Irène Silberman à acquérir les droits d'adaptation du dernier scénario de Gégauff. Pour mettre en valeur cette satire sociale et anticléricale provocante, le cinéaste pense d'abord à Anthony Perkins pour interpréter le premier rôle, celui d'un prêtre défroqué qui arnaque une petite communauté de métayers extrêmement religieux. Effrayé par l'intensité du script, Perkins refuse tandis que la production se tourne vers Peter O'Toole qui exige en contrepartie un salaire abusif. C'est donc Féodor Atkin, acteur pour Rohmer dans Pauline À La Plage, qui est choisi pour incarner cet escroc sans foi ni loi se faisant appeler le Saint-Père. Pour incarner sa compagne, la Sainte-Mère, fausse bigote aussi hystérique que sadique, Anna Karina répond présent pour rendre hommage à la mémoire de son ami Paul Gégauff, mais reste néanmoins peu rassurée par l'ampleur de son personnage qui est à l'exact opposé de sa personnalité, mais aussi du rôle qu'elle interprétait dans le sublime Suzanne Simonin, La Religieuse De Denis Diderot, réalisé en 1967 par Jacques Rivette.
Pour incarner Ursula, jolie adolescente de 15 ans bien plus intéressée par ses premiers émois sexuels que par la religion, Jacques Richard découvre un modèle qui vient de fêter ses 17 ans et qui répond au nom d'Isabelle Pasco. Elle se verra révélée l'année suivante dans Hors-La-Loi de Robin Davis et, surtout, dans Roselyne Et Les Lions de Jean-Jacques Beineix, qui lui permettra par ailleurs d'entamer une carrière internationale.
Pour l'heure, la jeune Isabelle se voit crucifiée sur la somptueuse affiche conçue en décor naturel par la photographe Bettina Rheims et qui déchaîne les foudres de diverses associations catholiques. Un procès fait interdire la promotion du film dans les endroits publics. L'affaire aurait pu créer une publicité avantageuse pour l’œuvre mais les critiques désastreuses signent son échec commercial, ainsi que la carrière de Jacques Richard qui devient documentariste (il coréalisera par ailleurs l'intéressant D/s aux côtés de la Dominatrice BDSM Maîtresse Léïa) et entame une relation épistolaire durant 15 ans avec Florence Rey, coresponsable d'un sordide et sanglant fait divers en 1994, qu'il épousera lors de sa sortie de prison.
Systématiquement rejeté par le public depuis 1984, Ave Maria reste néanmoins un violent uppercut asséné à la face des catholiques extrémistes que le script décrit ici comme les adeptes d'une secte sous l'égide d'un couple de gourous sans aucune morale, ni aucun scrupule.
Pas entièrement maîtrisé et parfois maladroit quant à la faiblesse de certains portraits psychologiques dressés, c'est indéniablement le casting qui sauve le film grâce notamment aux superbes implications artistiques de Dora Doll (en touchante maman dépassée et désorientée du personnage incarnée par Isabelle Pasco) mais aussi par l'interprétation mystique de Pascale Ogier en nonne soit complètement dégénérée, soit totalement extasiée face à ses croyances envers Dieu (ce sont les spectateurs qui choisissent son état) et qui sera le dernier film de la comédienne de 25 ans, morte d'une overdose au petit matin du jour de l'avant-première parisienne du métrage. Un funèbre sort qui poursuit Ave Maria depuis bientôt 40 ans.