Dix ans. Il y a dix ans, donc, nous découvrions Iron Man, nouveau super-héros au succès immédiat, contrastant drastiquement avec les échecs des autres films de la décennie comme les Daredevil ou Catwoman. Cette fois, les studios Marvel ont une sérieuse idée en tête et le démarrage est idéal. 17 films plus tard, vient enfin un des jalons majeurs de tout un univers cinématographique à la démarche tout à fait inédite, un ambitieux projet qui soulevait attentes, craintes et indignations. Las et désespérés de voir autant de films de super-héros prendre autant de place dans nos salles et dans l’imaginaire commun, certains ne supportent plus ces films popcorn qui trustent les cimes du box-office. On ne saurait leur en vouloir. Infinity War, cet ogre immense, devait réunir tous ces héros symboliques qui nous ont été présentés ces dix dernières années pour faire face à une menace inédite, préfigurant déjà nombre de records en termes de budget et de recettes. J’ai toujours aimé les Marvel, sans non plus être un inconditionnel, au point d’avoir fini, un moment, par aussi décrocher. Mais en les revoyant tous ces deux derniers mois, j’ai pu mieux saisir la cohérence de cet univers et générer de l’attente autour de ce film qui, oui, tient parfaitement son rang et m’a complètement enthousiasmé.
Marvel, ou comment déchaîner les passions
Il est toujours un peu difficile, de nos jours, dans la sphère cinéphile, d’assumer le fait d’aimer un film Marvel. Tout simplement car ces films ont souvent très mauvaise presse, leur image est réduite à des divertissements vides et sans intérêt, des monstres cinématographiques sans âme dévorant le cerveau des spectateurs ainsi que la part de plein de bons films qui mériteraient plus de place dans nos salles. Ce n’est pas tout à fait faux d’un certain point de vue, mais ce n’est pas vraiment juste non plus. Les films Marvel sont avant tout les composantes d’un phénomène cinématographique englobant notre décennie et marquant une génération, comme l’ont pu faire les westerns dans les années 50/60. Ils ne sont pas là juste pour le plaisir, ils témoignent d’une tendance, d’un contexte sociologique et cinématographique particulier, questionnant sur l'héroïsme et la recherche de modèles dans notre société.
Réunir 40 héros, ou de l’importance de la structure narrative d’un film
Le défi le plus important auquel était confronté le film était, sans aucun doute, d’être capable de réunir autant de héros dans un seul long métrage. La plupart d’entre eux ont déjà eu leur propre origin story, voire même une saga leur étant entièrement dédiée. Naturellement, la grande question depuis l’annonce de ce projet était de savoir comment faire pour éviter un capharnaüm sans nom et de sombrer dans l’overdose. Force est de constater, lors du déroulement du film, que le défi semble bien relevé. Comme la plupart des films du genre, l’intrigue suit un fil rouge, mais il se divise en plusieurs sous-intrigues, en répartissant judicieusement les personnages dans chacune d’entre elles, pour créer des associations, des rebondissements, et pour avoir la possibilité de donner de l’importance à chacun d’entre eux.
Cette réunion pour le salut de l’univers se présente d’une certaine manière comme une sorte de condensé de tous ce que les précédents films ont pu offrir. On assiste à des histoires secondaires visant à nourrir l’intrigue principale pour toujours plus susciter d’intérêt, à l’instar de ce que tous les films Marvel ont pu faire à ce jour dans le but de mener à Infinity War. Sans jamais trahir le ton et le caractère de chaque personnage, le film parvient à associer tous ces héros, coupant toujours au bon moment, parvenant à enchaîner sans erreur de rythme et à progressivement faire monter la tension.
Thanos, le dévoilement d’un véritable méchant digne de ce nom
Forcément, quand on pense à Infinity War, on pense à la réunion de tous ces héros, mais n’oublions pas à quelles fins celle-ci a lieu : empêcher Thanos de détruire l’univers. Ce qu’on avait aperçu de lui ressemblait à un despote aux idées destructrices, un roi perdu, une menace fantôme, envoyant ses sbires mener la quête des pierres d’infinité. Finalement, le portrait de Thanos dressé dans Infinity War est bien plus nuancé et intéressant. L’antagoniste des Avengers prend une place très importante dans le récit, il en est même le personnage principal. Les frères Russo ont bien compris que, pour que le film ait réellement de l’intérêt, le méchant ultime devait avoir un traitement digne de ce nom. Et, finalement, on découvre un personnage tout à fait différent de ce que l’on pouvait penser, bien moins cruel et manichéen qu’attendu.
Certes, Thanos frappe et tue sur son passage, mais il ne le fait jamais de manière gratuite. Il répond aux coups mais est rarement le premier à frapper. Son but premier est, grâce aux pierres d’infinité, de rétablir l’équilibre dans l’Univers en éliminant la moitié des formes de vie qui y habitent, pour éradiquer les famines et tous les problèmes liés à la surpopulation. Naturellement, on y voit un parallèle évident avec la problématique de la population humaine qui grandit en suivant une croissance galopante, induisant des problèmes d’inégalités et de pauvreté dans le monde, où des millions voire milliards d’êtres humains ne peuvent subvenir à leurs besoins faute de ressources. Les frères Russo n’inventent rien puisque cette motivation est directement tirée des comics, mais elle induit une véritable réflexion, et les intentions finales de Thanos font que, malgré l’aspect manifestement destructeur de ce procédé, il n’est pas là pour détruire pour le plaisir, mais bien servir une cause qui lui tient à cœur. Poussé dans ses retranchements, invincible, il nourrit un mélange paradoxal de terreur et de compassion tout au long du film, tout à fait judicieux pour rendre l’issue de certaines scènes incertaines et nourrir un antagonisme intelligent.
Marvel, une mécanique bien huilée
Sur la forme, Infinity War ne casse pas les codes. Le film, plus audacieux sur le propos et la tournure des événements, s’avère moins surprenant concernant les effets et les éléments visuels. Bien entendu, le film ne manque pas de jolies trouvailles et de scènes impressionnantes, il serait absurde de renier le fait que c’est un véritable spectacle, qui nous promène dans des décors variés et souvent spectaculaires et hauts en couleur. De plus, le film se permet quelques tours astucieux, notamment avec la Pierre de la Réalité. Toutefois, les frères Russo restent sur un format très classique, sans grande prise de risque, dans une nouvelle avalanche de fonds verts, avec quelques petites fausses notes, qui demeurent cependant anecdotiques et, il faut le dire, ce n’est pas spécialement sur la forme que l’on attend un Marvel. On garde cependant en tête des passages spectaculaires qui ne manquent pas de provoquer quelques frissons chez le spectateur.
Sur le ton, Infinity War était également attendu. Là où les premiers Avengers et Civil War s’avéraient sérieux, solennels, les derniers films Marvel, notamment Les Gardiens de la Galaxie, Ant-Man ou encore Thor : Ragnarok avaient opté pour un virage soudain vers un ton plus léger, se muant en comédies d’action. Depuis, l’humour semble indissociable de l’univers Marvel, mais la question était : comment Infinity War allait être ? Encore une fois, force est de constater que le dosage est tout à fait bien géré, le film s’avérant dramatique dans sa globalité, relativement sérieux, s’autorisant toutefois quelques gags et répliques humoristiques, mais toujours dans le bon tempo, et sans en abuser. Ici, le bon compromis entre le sérieux et le décontracté semble enfin avoir été trouvé.
Conclusion
Il y a quatre mois, la sortie d’Infinity War ne me faisait ni chaud ni froid. En revoyant les films de l’univers Marvel, mon intérêt a petit à petit progressé, se muant en une impatience certaine. Les attentes étaient là, plus qu’importantes au vu de tout ce que le MCU a construit depuis dix ans. Et le pari est gagné haut la main. Infinity War est sans doute le meilleur film de l’univers Marvel créé à ce jour, un spectacle colossal qui ne laisse aucun répit au spectateur, proposant un antagoniste digne de ce nom, avec de la nuance et un traitement intelligent, dosant parfaitement le sérieux et l’humour, suffisamment bien construit pour ne jamais être trop lourd ou trop léger.
Bien qu’il dure deux heures et demie, le temps passe à une vitesse folle, signe d’une séance placée sous le signe de la réussite. Sans conteste, Infinity War est une réussite. Peut-être pas un chef d’œuvre du cinéma, il est vrai, mais la garantie d’un divertissement de haute volée, montrant que Marvel en a encore sous la semelle, et ne faisant qu’accroître notre impatience quant à l’arrivée de la suite l’année prochaine.