Averroès & Rosa Parks
7.8
Averroès & Rosa Parks

Documentaire de Nicolas Philibert (2024)

En séquestrant son public dans les murs d’un hôpital psychiatrique, Nicolas Philibert déconstruit l’espoir et éteint la lumière qu’il avait captée dans Sur l’Adamant.

N’allez surtout pas voir le dernier documentaire de Nicolas Philibert (Être et avoir) en espérant apprendre quelque chose sur Averroès, le grand philosophe du XIIème siècle, ou Rosa Parks, figure emblématique de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis. Il s’agit en fait du nom de deux bâtiments d’un hôpital psychiatrique à Paris, construit à une époque où l’administration recyclait les mêmes plans pour bâtir lycées, prisons… et hôpital. Le metteur en scène retrouve une partie des protagonistes dont il avait déjà montré le quotidien dans son précédent film sorti l’année dernière et lauréat de l’Ours d’Or à la Berlinale. Alors que Sur l’Adamant traite de la lumière et des interstices socio-psychiatriques, porteurs d’espoirs et de promesse libératoires, ce deuxième volet reste cloitré dans l’établissement psychiatrique, documentant minutieusement les séances entre psychiatres et patients.

Le champ-contrechamp est au cœur du dispositif de Philibert. Presque systématiquement, il pose son regard autant sur le personnel soignant que sur les personnes soignées. Il ne s’agit donc pas d’un documentaire « sur la folie » mais plutôt un regard implacable sur la psychiatrie, et surtout ses limites. Car Averroès et Rosa Parks fonctionne également comme un contre-champ à Sur l’Adamant, en dévoilant une réalité beaucoup plus lourde, oppressante et cruelle. Alors que l’Adamant voguait sur la lumière et les échappées qu’il offrait à ses visiteurs, la lumière est remplacée par des murs, les médecins se substituent aux artistes et la souffrance aigüe annihile tout espoir dans Averroès. Immergé pendant 2h23 (!) dans le quotidien de cet établissement psychiatrique, le spectateur est lui aussi épuisé, étouffé, aliéné et ne peut que constater l’échec de la psychiatrie comme elle y est pratiquée. Ces murs deviennent des limites littérales à la psychiatrie et au bien-être de ces personnes atteintes de troubles mentaux.

Si la volonté de représenter ces différentes facettes de l’approche psychiatriques est ambitieuse, ce deuxième opus soulève tout de même quelques questions déontologiques quant à la nécessité de montrer des individus terrassés par d’intenses souffrances. On a parfois l’impression que Philibert favorise l’effet sur le spectateur au détriment de la dignité des personnes qu’il filme, notamment dans son acte final. Ces réserves mise à part, sa démarche constitue une fascinante plongée dans ce système si embarrassé à l’idée de faire cohabiter ces individus qualifiés de « différents ». La Machine à écrire et autres sources de tracas, le troisième et dernier volet de cette trilogie est déjà sorti en France. On a hâte de le découvrir, le temps de retrouver son souffle et ses esprits.

el_blasio
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le 9 mai 2024

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