Averroès & Rosa Parks
7.8
Averroès & Rosa Parks

Documentaire de Nicolas Philibert (2024)

Un jour j'ai demandé un câlin, on m'a apporté un yaourt

http://www.surlarouteducinema.com/archive/2024/04/01/averroes-et-rosa-parks-6492321.html

Il ne sera question ici ni d'un philosophe théologien marocain du XIIème siècle (Averroès) ni d'une figure emblématique de la lutte pour les droits civiques (Rosa Parks) mais de deux unités de l'hôpital Esquirol situé dans la commune de Saint Maurice dans le Val de Marne (94) autrefois «asile de Charenton».

Malgré mes recherches (y compris sur le site de l'hôpital, très bien fait d'ailleurs) pour tenter de savoir pourquoi ces deux unités portent ces noms (je sais que vous brûlez comme moi de savoir), je n'ai rien trouvé. Tant pis.

Après avoir vogué à bord de L'Adamant, centre de jour hors normes où les patients atteints de pathologies psychiatriques peuvent se rendre et bénéficier de thérapies de groupes ou participer à des activités artistiques, nous pénétrons à l'intérieur de ce pôle psychiatrique rattaché à l'Hôpital parisien. Avant de nous approcher, un drone survole l'ensemble des bâtiments, pour finalement pénétrer dans les étages Averroès et Rosa Parks d’une même aile. Les bâtiments évoquent une forte impression carcérale.

Mais la verdure, les cours intérieures et les arbres offrent par endroits une sensation de calme, de douceur et de bien-être.

L'impression n'est que de courte durée. Dès que nous "rencontrons" les résidents de l'endroit selon le principe cher au réalisateur (pas d'entretien, pas d'interview, pas de questions, la parole libre entre le patient et le soignant), leurs discours possèdent cette volonté commune : ils veulent tous sortir de l'endroit et pour les plus audacieux s'échapper de la camisole de "folie" qui les emprisonne. Car la maladie mentale est une prison implacable dont il est difficile de se dépêtrer.

Plus encore que sur L'Adamant les parcours et les discours des patients qui s'expriment m'ont bouleversée ou est-ce parce que j'ai un peu oublié les détails du premier film. En tout cas j'ai aimé retrouver un des "personnages" de l'Adamant même si j'étais triste pour lui de constater qu'il n'a pas quitté l'enceinte de l'hôpital depuis un an. Et un autre, persuadé que son père mort est près de lui et qu'il n'a qu'une hâte retrouver et élever ses trois filles... qui sont en fait celles d'amis ou de cousins. Comme toujours cela déchire le coeur car on voit qu'ils souffrent malgré leurs sourires. Comme si le fait de sourire était une manière de cacher le mal-être et prétendre : "regardez, je vais bien".

On reproche à Nicolas Philibert d'avoir réuni un casting de choix. En effet, la plupart des patients à l'écran s'expriment avec une clarté et une profondeurs rares sur leur maladie. Mais il s'explique et cela semble évident : "Je n’ai pas proposé de les filmer à celles et ceux qui me semblaient traverser des situations trop aigües, dont la parole était incohérente, voire inintelligible, souvent altérée par les médicaments. C’eût été les filmer à leur insu. Et à leur détriment." Et pourtant sans être en "phase aigüe", Thierry, Christophe, Alexandre, Laure et les autres expriment une souffrance, une inquiétude, une angoisse voire une dépression chez cette jeune femme étudiante en art d'une vingtaine d'années qui font mal à entendre.

La douceur, la patience, l'écoute des soignants sont admirables (à l'exception d'une psy littéralement emballée dans son écharpe et qui tord sa bouche chaque fois que son patient s'exprime comme s'il ne lui disait pas ce qu'elle souhaite entendre). Toutes les scènes sont filmées sur la longueur, sans interruption, sans coupure, même lorsque le plus doux des psychiatres se fait insulter par la plus bouleversante des patientes "j'aime pas les cons... je parle pas aux imbéciles" lui dit-elle, même lorsqu'une psy quitte sa patiente désemparée au milieu d'une phrase parce que des cris se font entendre dans le couloir. Et puis il y a cette scène incroyable où un prof surdiplômé, juif, bouddhiste, victime de burn-out, "caméléon psychique" comme il se définit, expose sa conception de l'enseignement et là... on a envie de prendre des notes avec cette impression qu'il a les solutions pour sauver l'Education Nationale !

Les soignants ne sont pas présentés comme des héros mais comme des êtres humains, profondément humains qui côtoient la souffrance au quotidien et la laisse s'exprimer avec une écoute admirable. Et face à ce dévouement désintéressé ils ne rencontrent que les tourments de patients qui se sentent incompris et expriment constamment leur détresse avec une intelligence et une profondeur déconcertantes : "On est déjà en guerre avec nous-mêmes, et ici, on suffoque. On a besoin de respirations",

Et le film se clôt sur une séquence absolument bouleversante où cette dame sans âge (celle qui insultait plus tôt) tremblante, suite à un accident gravissime survenu dans l'enceinte de l'hôpital, à la voix fatiguée, lézardée par le tabac dit : "je vous remercie de vous occuper de moi" et répond ainsi à la question :

- "qu'est-ce qui pourrait vous rassurer ?

- Un câlin. Un jour j'ai demandé un câlin on m'a apporté un yaourt."

P.S. : j'aime beaucoup les affiches de ces films.

Et je trouve que rien que la bande-annonce est bouleversante.

LaRouteDuCinema
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le 4 avr. 2024

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