Qu’est-ce que la science ? Sinon un titanesque effort de classement. Ainsi, la totalité des 10.000.000 d’espèces animales a été classée phylogénétiquement par les biologistes. La science-fiction se devait de trier ses œuvres. Avril et le Monde truqué appartient à la famille des uchronies (la mort accidentelle de Napoléon III suscite un rapprochement franco-allemand), branche dystropique (le monde se meurt), sous-branche steampunk (sans avoir connu la seconde révolution industrielle). Vous voilà prévenu.
Mixant les emprunts au tristounet et écologique Tante Hilda (Jacques-Rémy Girerd et Benoît Chieux) aux audaces technophiles d’un Capitaine Sky et le monde de demain (Kerry Conran), le scénario me manque pas d’ambition. A court de bois et de charbon, la Terre court à sa perte. Militariste et policé, l’Empire napoléonien défie l’Amérique du Nord pour le contrôle des ultimes gisements de combustibles. Plus mystérieux, de nombreux savants de toutes nationalités disparaissent corps et biens. L’enjeu pourrait être un fabuleux élixir de jouvence !
Après avoir signé le scénario, Franck Ekinci et Benjamin Legrand confièrent à Jacques Tardi la conception graphique de leur film. Le résultat ravira ses amis qui retrouveront sa patte dans les héros : la physicienne Avril (petite sœur d’Adèle Blanc-Sec), le policier rougeot et les papys moustachus. Plus fécond est son univers Belle époque. Ses magnifiques machines rampantes, volantes et nageantes, inspirées des illustrations des ouvrages de Jules Verne et des dessins d’Albert Robida, rivalisent avec les créations de Miyazaki ou de Katsuhiro Ōtomo (Steamboy). Par insuffisance de moyens, l’animation pèche un peu et des visages manquent d’expression. Rien de rédhibitoire.
La flatteuse comparaison avec Miyazaki ne doit pas vous leurrer. Le monde d’Avril est crasseux, cendreux et suffocant. La gamme chromatique ne quitte guère les gris, ocres et bruns. Plus grave, on y rit fort peu. Adèle et ses proches sont sombres. Lucides, les scientifiques désespèrent. L’antimilitarisme et l’anarchisme de Tardi ont été ripolinés. Seul Darwin, un félin doué de parole, proche parent de l’inoubliable Chat du rabbin de Sfar, conserve une once de dérision. Notez que la voix de Philippe Katherine peut exaspérer. La cible d’Ekinci et Desmares est enfantine, l’ironie reste (très) sage. Dommage.